Grand enfant aux ambitions vertigineuses, six personnalités au compteur et une énergie inépuisable. Le charbon dans le sang et la bonne humeur illimitée, Heythem est un pur produit du sud de la France.
Son parcours, pourtant récent, est plein de maturité. Heythem est un véritable artiste haut en couleurs dont l’univers musical et visuel ne laissent pas de place à l’ennui et bravent toutes les limites. Loin du hasard et des principes comme moteur, que le destin et le travail, Heythem fait preuve de rigueur et d’humilité en toutes circonstances.
C’est durant l’été que La Pépite découvre Heythem avec la sortie de son premier EP, « Darwin », sorti le 19 juillet. Une virée musicale atypique à travers sept mondes le temps d’une vingtaine de minutes.
Quelques semaines plus tard, c’est à l’ombre du soleil de Marseille, pour profiter de la fraîcheur du Flow, que La Pépite est partie à la rencontre d’Heythem.
DES DÉBUTS RÉFLÉCHIS
La Pépite (La P) : Heythem, bien ? On peut commencer ?
Heythem (H) : Totalement prêt !
La P : En quelques mots, Heythem, c’est qui ?
H : C’est un kiffeur de musique, un artiste déterminé et plein de bonne humeur.
La P : Tu ne sors pas de nulle part puisque ça fait tout de même dix ans que tu rappes. Mais, tu ne donnes pas ton âge, pas vrai ?
H : Non jamais, je veux laisser planer ce doute. C’est lié à ma série de freestyles “Gamin”, j’ai pas envie que les gens posent forcément un âge sur ma musique. Je me dis que quel que soit ton âge, tu peux faire ce que tu veux.
La P : Est-ce que tu peux nous parler de tes débuts dans le rap ? Comment est-ce que tu es tombé dedans ?
H : J’ai baigné dans le rap français avec Psy 4 De La Rime, direct, grâce à mon grand frère. J’ai fait un blocage, c’était incroyable pour moi. Ensuite, j’ai voulu essayer. Je ne comptais pas me lancer bêtement, seul et faire n’importe quoi de mes idées. J’aspirais absolument à faire de la bonne musique et j’ai préféré attendre d’être prêt à m’y mettre pour être au maximum de mes capacités.
La P : Donc, très tôt, tu pensais déjà à en faire un métier ?
H : Oui, je savais que je voulais travailler dans la musique quoi qu’il arrive, en tant qu’artiste ou non. Je me suis toujours dit que si je choisissais cette voie, c’est qu’il n’y aurait pas de marche arrière, pas de demi-tour. Si je le fais, c’est jusqu’au bout et pour le faire en entier. Je souhaitais éviter de faire des freestyles à perte ou de faire des feats à droite à gauche pour rien. J’avais conscience qu’il fallait que je passe par toutes les étapes nécessaires avant de pouvoir me lancer.
Je me suis toujours dit que si je choisissais cette voie, c’est qu’il n’y aurait pas de marche arrière, pas de demi-tour.
UN DÉVELOPPEMENT SOLIDE ET AMBITIEUX
La P : Quelles ont été ces étapes ?
H : À mes yeux, c’était primordial d’apprendre la communication, de comprendre l’administratif ou encore de réussir à définir mon image. Il y a tellement de travail dans la musique, même si tu ne peux pas tout approfondir, tu peux au moins connaître un peu de tout.
La P : C’est fou que tu aies eu conscience de tous ces enjeux dès le début. Qu’est-ce qui a été le déclencheur ?
H : Je l’ai tout simplement vu en côtoyant des artistes. J’en ai vu certains se prendre des murs parce qu’ils savaient faire de la bonne musique mais ne parvenaient pas à gérer leur communication et leur image, et inversement. Je me suis alors demandé comment je pouvais faire pour éviter de faire les mêmes erreurs. J’ai compris qu’il allait falloir que j’assimile tous les codes pour capter les rouages.
La P : C’est un vrai développement que tu as décidé de mener ! Tu ne t’es jamais démotivé ?
H : Je savais et je sais encore que c’est un travail de développement qui peut prendre des années. Évidemment, c’est long et la durée peut être démotivante, mais il faut savoir rester patient et ne pas se mettre de barrières. Si tu es déterminé et que tu veux aller jusqu’au bout, il n’y a pas de doute à avoir.
UNE VISION MUSICALE QUI SE VEUT LARGE ET LIBRE
La P : Au fil du temps et de tes expériences, ta musique a évolué et mûri. Je ne te demanderai pas de nous dire comment tu souhaites que le public la perçoit, au contraire. Avec ton propre regard, comment toi, tu la conçois ?
H : Libre. Je dirais que ma musique est libre. Je ne me suis jamais imposé de style ou de couleur. J’ai construit mon propre univers sans me forcer à poser sur un délire d’instrus ou bien un rythme. Venez plutôt, on teste et on s’essaye à de multiples possibilités. Il y a tellement de diversité et de nouvelles propositions dans le rap de nos jours que je ne peux pas m’enfermer dans un registre précis.
La P : Avant d’être un artiste, tu es quand même un grand auditeur. Quelles sont tes références majeures ?
H : Je le répète, mais Psy 4 De La Rime, depuis mes années primaires, ils n’ont pas quitté mes écouteurs. J’aime beaucoup Jay-Z aussi, sa mentalité détente et life is good m’ont beaucoup influencés. Après, j’écoute énormément de choses différentes, mais je peux pas nier que le rap marseillais est ma principale racine.
Il y a tellement de diversité et de nouvelles propositions dans le rap de nos jours que je ne peux pas m’enfermer dans un registre précis.
LA CITÉ PHOCÉENNE ET UN MOUVEMENT AU CŒUR DE SON UNIVERS
La P : Et toi justement, en tant qu’artiste et auditeur originaire de cette région, tu portes un double regard. D’après toi, où est-ce que le rap marseillais puise sa force et sa singularité ?
H : Le public reconnaît forcément la pâte marseillaise. Rien qu’avec le genre d’instrus que des Jul ou des Naps ont pu imposer en France. Notre mentalité est spéciale, notre argot et nos expressions sont repris partout.
La P : Ce que je trouve remarquable avec les artistes émergents à Marseille, c’est l’écart que vous pouvez avoir par rapport à l’idée que le grand public se fait du rap marseillais sans que vous perdiez votre identité marseillaise pour autant. Pourquoi votre génération est-elle si différente de la précédente ?
H : Même si notre héritage marseillais prend une place importante dans notre musique, nos influences ne sont plus les mêmes, on est davantage tournés vers les scènes américaines ou anglaises. Puis, on a compris qu’on n’était pas obligé de faire le genre musical attendu par tous pour représenter notre ville.
Marseille, on l’apporte en image et musicalement, on s’ouvre et on va chercher ailleurs. Si on s’enfermait dans le style marseillais, ça ne nous irait pas du tout, on a besoin d’aller trouver de nouvelles sonorités.
Même si notre héritage marseillais prend une place importante dans notre musique, nos influences ne sont plus les mêmes.
La P : Pour toi, c’est quoi être marseillais ?
H : Être solaire. Et… être en retard (rires). Non, plus sérieusement, ça pue la bonne humeur ici ! C’est très rare de croiser des personnes aigries et mauvaises, tout le monde a toujours le sourire. Même si on peut dire qu’il y a deux facettes, solaire et sombre, à Marseille ; on aime trop la vie, on sait se suffit des choses simples.
La P : Et actuellement, la culture hip-hop, elle vit comment à Marseille ?
H : Mieux ! Mieux qu’avant. Ça se développe. Maintenant, il y a des festivals et des concerts partout. Les gens s’organisent, des associations aident également à ce niveau là.
De nouvelles salles de concerts et pleins de studios d’enregistrement ont ouvert. Aujourd’hui, c’est plus chacun pour sa peau, on se rencontre et on s’entraide ; regarde, juste tous les artistes marseillais qui se partagent la scène française.
Ce mouvement prend une tournure inédite, concentrée et sérieuse à Marseille. Il n’y a pas de jalousie : tu vas réussir, je vais réussir, on va réussir ensemble. C’est ça Marseille.
L’INDÉPENDANCE ULTIME ET DES VALEURS CLÉES
La P : Justement, en parlant de réussite. Comment définirais-tu la tienne ?
H : La réussite, pour moi, c’est humain. Si demain, je rencontre quelqu’un que je ne connais ni d’Adam ni d’Eve et qui m’explique qu’il s’est reconnu dans ma musique, qu’il s’est identifié à travers mes textes ; j’ai réussi. Ou encore en concert, tu as dix personnes qui chantent par cœur tes titres avec toi ; tu as réussi. Qu’est-ce que tu veux de plus ? Le reste, c’est du bonus !
La P : Même si tu as déjà sorti un projet et plusieurs clips, ta réussite n’est pas matérielle ?
H : Pas du tout. Tout l’argent qu’on gagne, on va le ré-injecter pour se produire de toute façon. Mes objectifs ne sont pas matériels, que de l’humain. C’est un travail de longue durée, je prends le temps, je travaille pour ça.
La P : Pour le moment, tu réalises donc ta musique en totale indépendance. Qu’est-ce que ça représente pour toi ?
H : Être indépendant, c’est devoir investir sur toi-même et ça signifie qu’il faut croire en toi. Il faut comprendre le cheminement du travail que tu vas devoir faire sur toi-même. Il faut chercher par tous les moyens de se développer intellectuellement.
Tu ne peux pas dire que tu ne peux pas faire, il faut être débrouillard, tu trouveras forcément la solution quelque part. C’est dur, mais tu dois te développer, te connaître et y croire jusqu’au bout.
Être indépendant, c’est devoir investir sur toi-même et ça signifie qu’il faut croire en toi.
La P : Le prix de l’indépendance, c’est aussi pas mal d’inconvénients. Quels ont été les tiens ?
H : Il y a beaucoup de portes fermées, à toi de les ouvrir ou de passer par la fenêtre. Quand tu es indépendant et en développement, on ne te fait pas confiance et on ne va pas prendre de risque avec toi. Sans compter sur tous les sacrifices que tu dois faire, tu vis moins et tu te prives, tu te fatigues et tu n’es pas sûr de réussir. Tu dois faire preuve d’un investissement de taille.
La P : Des doutes et des questionnements, tu en as eu ?
H : Bien sûr, comme tout le monde. Tu es seul, donc tu n’as pas quelqu’un pour te dire quoi faire. Pas de directeur artistique pour valider tes choix, pas de manager pour t’aider face à certaines décisions.
Tu ne sais pas vraiment, c’est beaucoup de prises de risques. Mais finalement, c’est tant mieux, parce que tu as encore cette marge de liberté. Tu peux tenter n’importe quoi, et tu dois prendre des risques, quitte à te prendre des murs, mange-toi les bien.
Ne pose aucunes questions, fais la musique que tu veux et mets toutes tes chances de ton côté.
La P : Toi qui t’accroches à tes valeurs et tiens à tes objectifs, tu écrirais quoi au Heythem du futur ?
H : Profite. Profite au max. Fais ta musique, mais ne t’enferme pas à l’excès dedans. N’oublie pas la réalité, ne te perds pas. Prends soin de ta famille, sois conscient de ceux qui seront là pour toi. Personne ne t’aime plus que ta famille et personne d’autres qu’eux sera prêt à tout casser pour toi. Affronte tous tes doutes et tes galères sans devenir envieux et méchant. N’oublie pas d’où tu viens.
La P : Pour finir, as-tu quelque chose à ajouter ?
H : Je vais tout casser quoi qu’il arrive. Je vais me prendre des murs, je tombe, je me relève. Et force à ceux qui charbonnent pour cette culture !
Le dernier EP, « Darwin », de Heythem est disponible sur toutes les plateformes de streaming.
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