“Spectre” ou le voyage intérieur de Sheldon

On s’attendait à être surpris. Et pourtant, on a quand même été surpris de l’être. Car avec Spectre, Sheldon délaisse la fiction qui le définissait pour nous emmener dans un tout autre univers cette fois-ci bien réel : sa vie.

A coeur ouvert

J’en ai marre d’être un humain, j’imagine que j’ai pas de corps
(James Cole)

Financé par crowdfunding, Spectre est le deuxième projet de Sheldon après Lune Noire sorti en 2019. Pour ce disque, le rappeur s’est entouré de gens de confiance. Membre fondateur de la 75e Session, il a convié ses collègues (Zinée, Shien, M le Maudit) mais également le belge Isha ainsi que Damlif, son protégé. Toutefois, ce second opus a des airs de premier album tant on redécouvre le rappeur.

A travers 19 titres, Sheldon se livre sur ses émotions comme il ne l’avait jamais fait auparavant. Sans artifices, il énumère ses peurs, ses doutes mais également ses rêves avec une sensibilité inédite. Il assume l’instabilité psychologique de son être, tiraillé entre l’envie d’évasion et celle de disparaître, entre la lumière et l’obscurité :

J’mets tous mes proches dans la fusée, j’disparais dans la fumée
Depuis petit, j’veux m’en aller loin d’ici
(Fumée)

“J’illumine mais je reste une ombre”
(Quasar)

Fragilité de la vie

Spectre c’est l’âme de Sheldon dans toute sa transparence qui, dépourvue de son “enveloppe” traverse et se laisse traverser par le temps et l’espace. Une perméabilité et un nouveau rapport au monde qui permettent à l’artiste de relativiser son existence sur Terre :

On est juste de passage, juste de la poussière, juste une histoire qu’on raconte, juste un grain de sable dans l’univers
(Passage).

Le projet tout entier est hanté par cette angoisse métaphysique face à fragilité de la vie. Une démarche logiquement influencée par la disparition de son ami Népal, dont l’ombre n’est jamais très loin :

On vit dans un monde où rien s’paye, mon frérot m’a dit qu’on n’avait rien d’space (Spectre)

J’ai la même envie de tout brûler depuis qu’il est parti
(James Cole)

Une enfance avortée

Mais Spectre est aussi une plongée dans les souvenirs de Sheldon, lequel n’hésite pas à nous emmener dans son enfance tumultueuse avec une certaine mélancolie. Notamment par le motif de la fleur qui peine à s’épanouir dans son environnement :

J’ai grandi où les fleurs sont coupées
(Docu)

J’suis comme une fleur dans un sous-sol
(Quazar)

L’évocation de son enfance donne alors lieu à de grandes démonstrations lyricales. D’une grande finesse, la plume de Sheldon est ainsi ponctuée d’images vives et originales :

“Moi j’ai rien à prouver j’suis juste un gosse de Paname
Qui a grandi trop vite sous une cloche de napalm”
(Fumée)

Mais le rappeur n’en oublie pas pour autant ses qualités de kickeur. Comme sur les titres “Top Boy” et “No Go Zone”, dans lesquels il laisse libre cours à son ego trip :

Que j’prends d’la valeur comme un NFT
Ils font les dobermans, les bougs énervés,

J’vais rester endormi, j’vais les préserver
(Top Boy)

L’album de la maturité

La prise de risque de Sheldon est narrative mais elle est aussi musicale. Car le rappeur est aussi un producteur hors pair. Métalliques et stratosphériques, les instrumentales donnent à voir un Sheldon au plus haut niveau comme sur “Quasar”, “Docu” ou “Tunnel”. La comptine “A la mer” et les balades “Mon amoureuse”, “Justesse” et “Valise” insufflent quant à elles un côté solaire à une atmosphère globalement très nocturne.

Finalement, Spectre est l’album de la maturité pour Sheldon. En prenant du recul sur sa vie, le rappeur tire des leçons sur les grands enjeux sociaux de son époque comme l’écologie, la condition féminine ou encore la virilité toxique.

Ouais, je sais qu’c’est pas très joli d’être un garçon
Surtout quand t’es comparé aux autres garçons
Il t’as insulté, tu l’as pas frappé
C’est pour tout ceux qu’ont pas trop envie d’se bagarrer, ouais

(Docu)

Et de conclure le projet avec le très personnel “Caverne” (en référence à l’allégorie de Platon) dans lequel le rappeur atteint la vérité; à savoir que tout ce qui est vrai n’est qu’illusions et faux-semblants :

L’ombre est portée sur les parois humides de la caverne, moi je doute de tout
(Caverne)

En revanche, si il y a une chose dont on ne peut douter c’est que Spectre laissera, dans nos esprits, une empreinte bien plus durable que ne le suggère son titre.

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