Si l’argent ne fait pas le bonheur, il y contribue largement. Huntrill et ses paires de Margiela en savent quelque chose. En janvier dernier, l’artiste passionné par les chiffres dévoilait son nouveau projet réalisé en commun avec le talentueux Hologram Lo’ : REPLICA. Au menu : trois titres explosifs, des sappes de luxe, des punchlines toujours aussi percutantes et une lucidité à toute épreuve. Mais attention : pas besoin de trop briller. Pour La Pépite, Huntrill revient sur son nouvel EP et la solide équipe qui l’entoure.
Le duo Huntrill et Hologram Lo’
La Pépite : Ton nouvel EP, REPLICA, est disponible depuis le 14 janvier. Il a été réalisé en collaboration avec Hologram Lo’, avec qui on t’a déjà retrouvé sur d’autres titres. Comment s’est faite votre première connexion ?
Huntrill : On s’est rencontrés après la sortie de Nouvelle Trap. Le projet était sorti chez Caroline, la distrib’ d’Universal, là où se trouve Don Dada. Ils ont entendu parler de la sortie, Lo’ et Alpha ont check. Ils ont kiffé, Lo’ m’a envoyé des messages pour me dire que c’était chaud et on est resté en contact. C’était en 2019, on parlait musique mais pas forcément d’en faire. On discutait des nouvelles sorties, du rap d’untel ou untel… C’est la même période où j’ai appris à découvrir ces gens-là.
La connexion musicale, elle s’est faite au confinement. On parlait de plus en plus avec Lo’. On s’est dit : « En vrai, j’galère, tu galères, viens on fait du son ». Il a commencé à m’envoyer des backs et c’est là que j’ai pu faire Le Plug. On a attendu que la situation sanitaire se désamorce un peu pour se capter au studio. On a commencé à avancer. C’est là qu’on a fait Margiela Au Pluriel. C’était vers septembre 2020 pour mon EP Trillsaison qui est sorti en décembre.
P : Qu’est-ce qui fait que vous collaboriez autant ensemble ?
H : Humainement, avec leur équipe, ça match de fou. C’est grave des bons gars, ils m’ont bien adopté. Des fois, il m’envoie des prods, pas forcément pour que je pose dessus, et on en discute. Au final, c’est comme ça qu’il se retrouve sur la plupart de mes titres. À chaque fois que je fais des sons, que ça soit lui à la prod ou non, je lui envoie. Il me partage son avis, j’ai des conseils, etc.
La concrétisation avec REPLICA
P : Globalement, comment s’est passée cette nouvelle collaboration ?
H : En fait, quand on s’est retrouvé avec Le Plug et Margiela Au Pluriel, on s’est chauffés pour ajouter un troisième son et sortir un projet. Sauf que moi je commençais déjà à avoir le squelette de Trillaison et je me suis dit que si je retirais ces deux titres de l’EP, j’aurais plus rien. Il a compris, j’ai sorti mon EP, et après on a passé tout 2021 à poser. On a dû faire une dizaine de titres ensemble et ensuite on a sélectionné.
P : Vous aviez déjà prévu de garder juste trois morceaux ou ça s’est fait au feeling ?
H : Ça n’a pas arrêté de changer ! Pour te dire, on a commencé à poser en janvier et le projet est sorti en janvier 2022. On avait un cinq titres, puis sept, puis huit… Rotschild Flow et Bitcoin qui se ressemblaient vachement. On s’est dit qu’on allait en rajouter un troisième et que si ça le faisait pas, on sortait juste ces deux-là. On a fait Le jour de la signature au dernier moment, vraiment à la deadline celui-là.
Entre mode et trap avec REPLICA
P : REPLICA, c’est un concept de la Maison Margiela, une marque que tu cites dans presque chacun de tes titres. Pourquoi cette attirance systématique pour Margiela et pas une autre marque par exemple ?
H : Le concept. Dans Le jour de la signature, il y a un skit où t’entends quelqu’un parler de Margiela. Il explique en quoi il est différent des autres. Il a compris la société dans laquelle on vit aujourd’hui et la retranscrit juste à sa façon. Tu vois, il n’y a rien de différent avec le côté obnubilé par l’argent, le paraitre, etc. Il le fait à sa manière.
J’avais capté déjà ce truc chez lui, dans le sens où il n’y a rien de différent. C’est cher, c’est du luxe, mais il le fait de manière décalée. Et il s’en fout parce que ça lui correspond ! Il est pas mieux que les autres, il est juste différent.
J’aurais pu faire une trap bête et méchante comme tout le monde, mais j’ai une attirance pour le texte.
P : C’est un peu comme toi et ta musique, ta manière à toi de réaliser de la trap…
H : C’est exactement ça. Je fais pas une meilleure trap que les autres, je fais juste ma propre musique. Je ne me fie pas à une tendance. C’est de la trap, tout le monde en fait. Je créé pas un genre, je le fais juste à mon image.
P : C’est vrai que le texte est au centre de ta musique, à l’inverse d’autres artistes trap.
H : C’est ça, c’est là que je trouve mon authenticité. Je vis en cité comme tout le monde. J’aurais pu faire une trap bête et méchante comme tout le monde. Mais j’ai une attirance pour le texte et j’pense que c’est ma patte. C’est ce que je développe. J’ai un peu le cul entre deux chaises : je fais le flow avec le littéraire à côté.
P : Sur la cover, on retrouve une série de chiffres allant du 1 au 23 (représentatif du logo Margiela). Seul le 7 est entouré. Dans le titre Rotschild Flow, tu dis : « J’rentre de Dubaï comme je sors du 7 ». C’est quoi ce 7 ?
H : Le 7, c’est ma ville Sainte-Geneviève, 91700. Je dis 700 et des fois le 7 pour abréger.
P : Je suis très curieuse mais qu’est-ce que tu fais autant à Dubaï ?
H : En vrai, j’aime juste la vibe. Comme tu peux capter, j’aime bien la mode et j’suis un peu matérialiste comme mec. Sortir faire ses courses et avoir des rolls sur le parking, c’est mieux, c’est plus kiffant (rires).
P : Ça correspond bien à ton univers.
Voilà, ça m’inspire beaucoup et ça me repose en même temps. Il y a le côté calme et local comme le côté excentrique et matérialiste, j’y trouve totalement mon équilibre.
Huntrill, lucide et critique
P : Dans Le jour de la signature, tu te livres un peu plus. Tu abordes d’abord ton passé lorsque tu dis « si j’volais ap, j’mangeais ap, donc j’rigole quand tu m’parles de hess », pour terminer quelques lignes plus loin par « nouveau linge on s’venge d’avant, comme petit pansement sur grosses blessures ».
Justement, tu sens pas un espèce de décalage entre ce que tu as pu vivre plus jeune, et cette « nouvelle vie » avec du luxe à proximité et les allers-retours à Dubaï ? Comment tu fais pour te sentir à l’aise ?
H : Dans ma tête, c’est une revanche, tout simplement. C’est pour ça que je me sens à l’aise et que je reste moi-même dans ces milieux-là. Je pensais pas pouvoir le faire un jour et j’ai l’impression de rien avoir à faire pour prouver ma place. C’est comme un mec qui n’aurait jamais dû être là et qui fait ce qu’il veut.
P : Surtout que tu dis toi-même, « Si j’claque pas dans d’la merde, j’me paye belle baraque au bord d’la mer ». C’est contradictoire, c’est quoi au final ton véritable rapport à tout ça ?
H : Ça l’est ! Quand je te parle de Margiela ou d’autres marques de mode, je les kiffais déjà étant beaucoup plus jeune. En réalité, quand je claque comme ça, c’est mon moi enfant qui fait tout ça. Ça n’a rien de responsable d’avoir une dizaine de paires de Margiela. C’est complètement stupide et illogique en vrai, mais c’est juste ce que je kiffe faire.
P : Le toi enfant il serait content du toi aujourd’hui ?
H : Ouais, j’le fais pour « lui » (rires). En vrai, c’est comme des clins d’oeil à mon enfance.
C’est un sacrifice de perdre autant de pourcentage sur ton propre blaze.
P : Enfin, dans ce même titre, tu répètes cette fameuse phrase : « Mais vu ton pourcentage, pourquoi t’es content le jour d’ta signature ? ».
H : Personne n’a répondu encore !
P : C’est cette lucidité qui t’empêche de signer quelque part pour le moment ?
H : Disons que je vois clair dans le jeu et dans le sacrifice que ça peut être de signer. J’pense pas que ça soit le cas de beaucoup d’artistes et c’est là la différence. Je dis pas que je signerai jamais ou quoi. Mais je sais que c’est un sacrifice de perdre autant de pourcentage sur ton propre blaze. Il faut quand même être assez responsable. Et, comme tu dis, lucide avant d’agir, savoir pourquoi on le fait.
Et si tu sais pourquoi tu le fais, t’as pas forcément à sourire sur les photos. Si t’es un freelance, que tu gagnes X oseille et que tu te restreins à trouver un CDI à beaucoup moins… Tu vas pas faire une photo ou un gros post Linkedin. C’est plus dans ce sens-là que je dis ça. En mode, les gens sourient le jour de la signature parce qu’ils savent pas. Sinon, tu fais pas des photos comme ça…
Huntrill, confiant et bien entouré
P : Dans Rotschild Flow, tu dis : « Pas besoin d’trop briller, petite équipe recompte gros billets ». Est-ce que le fait d’être bien entouré et d’avoir tout ce qu’il te faut actuellement participe au fait que tu souhaites rester indépendant pour l’instant ?
H : Je suis entouré de mecs qui sont dans le game depuis une dizaine d’années, c’est tout un écosystème. Il y a des mecs signés qui font beaucoup moins que ça en terme de longévité. Et, Dieu seul sait, en terme aussi financier. C’est pour ça j’te dis petite équipe de confiance qui sait où elle va, avec une vision commune et un concept commun.
C’est beaucoup mieux qu’une grosse équipe qui marche de fou avec un pourcentage de merde. Petite équipe, petite fanbase, des salles au calme, des petites tournées au calme… Des fois, c’est mieux qu’être une superstar.
Le fait que ça aille plus loin que de simples contrats, ça vaut mieux qu’un contrat en lui-même.
P : Ce projet a été distribué par Don Dada Records et Bitcoin est justement en feat avec Alpha Wann. Ça pourrait aller plus loin qu’une distribution ?
H : En vrai, ça l’est plus ou moins déjà. C’est la miff, j’suis clairement adopté par la team et ça fait plaisir. Le fait que ça aille plus loin que de simples contrats, ça vaut mieux qu’un contrat en lui-même. Le fait de dire que, peu importe la décision, j’aurais toujours les gars, c’est parfois mieux que de se mettre dans un truc trop formel ou trop officiel, pour au final ne pas savoir ce qui va en sortir.
Là, on n’a pas l’impression de taffer. Quand je vais au studio, j’ai surtout l’impression que c’est un groupe de potes qui jugent mes sons. C’est une miff, et si ça doit être plus que de la distrib, ça sera fait.
Ils ont décelé que j’étais un peu un loup solitaire malgré moi, en tout cas, dans le domaine musical.
P : Et pourquoi Don Dada Records ? Pourquoi ils t’ont choisi ?
H : Je pense que c’est la rime et le potentiel. Ce sont des amoureux de la plume donc ils écoutent de tout. Je pense que mon projet Nouvelle Trap, pour une carte de visite, il était bien ficelé. Sachant que je l’avais fait sans avoir forcément un entourage musical. Je pense qu’en discutant, ils ont décelé que j’étais un peu un loup solitaire malgré moi. En tout cas, dans le domaine musical. Et c’est peut-être ça qui a forcé un peu la collab.
P : Tu sens que cette équipe peut apporter quelque chose de plus à ta musique ?
H : C’est déjà le cas en vrai. Prends un EP comme REPLICA par exemple, qui est aujourd’hui bien reçu. Il faut savoir que sur les trois titres, quand Louis m’a envoyé les prods, je les ai toutes barrées. Je me suis dit qu’elles étaient lourdes mais que je ferai rien dessus, que c’était pas pour moi.
C’est lui qui me dit de tenter un truc quand même, que ça pouvait donner quelque chose. Sur Bitcoin, c’est carrément lui qui me dit « Nan nan, sur celle-là tu vas faire quelque chose ». J’pense qu’ils ont quelque chose à apporter, il y a une vision. Et, surtout, lui il sait sur quoi je peux taffer.
P : Comment ça s’est passé la collaboration avec Alpha Wann ?
H : J’avais reçu la prod peut-être un mois et demi avant ne serait-ce d’avoir écrit dessus. Il me l’a renvoyait à chaque fois. Je lui disais non. Puis, au final j’ai essayé d’écrire quelque chose dessus à Dubaï. Moi, à la base, je rec en studio. Donc là, j’ai posé dans mon hôtel, je lui ai envoyé la vibe dessus. On a fait pas mal de sons puis, vers la rentrée, j’en avais un autre sur lequel Alpha voulait poser. Mais, au dernier moment, il a changé d’avis pour la prod de Bitcoin parce qu’elle est folle en vrai.
C’est ça que j’aime bien, ils savent contrer aussi. Ils savent comment ça marche.
P : Mais c’est vrai que tu prends des prods difficiles !
H : J’me sens forcé ! (Rires) J’ai le même avis que toi quand je les reçois et que je les écoute. Je me dis qu’elles sont biens mais difficiles ! J’lui dis que c’est lourd de fou mais que je sais pas ce qu’il veut en faire. Et lui, il me répond que c’est pour moi. J’essaye et si ça match, tant mieux. Il y a des sons qu’on n’a pas pris parce que c’était plus dur.
C’est peut-être aussi parce que j’arrive avec mon univers trap, sur des prods un peu plus New York. Ça me permet de faire des flow plus saccadés dessus comme sur Rotshclid Flow, d’allonger mes phrases à mort comme dans Bitcoin, ou carrément d’aller taper comme dans Le jour de la signature.
C’est un bon exercice, surtout qu’eux, c’est un contrôle de qualité de fou. Quand c’est claqué, ils te disent que c’est claqué (rires). C’est ça que j’aime bien, ils savent contrer aussi. Ils savent comment ça marche.
Sincère et fidèle à lui-même
P : Avant que tu deviennes Huntrill et que tu suives une carrière en solo, tu étais dans un groupe. Ton blaze était Hunter, c’est-à-dire chasseur en anglais. Tu as toujours l’esprit d’un Hunter aujourd’hui ?
H : Ouais toujours, sauf que je Trill aussi donc j’ai dû me greffer à mon nouveau blaze. Trill, je sais plus de quelle ville ça sort exactement… Mais c’était hyper réputé à l’époque où j’ai choisi ce blaze. C’est un mélange de true et real. I’m trill, c’est être vrai.
Si je peux me concentrer sur le son, que ça continue de grimper et qu’il y a la demande… Il y aura l’offre.
P : Au total, en trois ans, tu as sorti trois EP, extrêmement bien accueillis par les auditeurs. Est-ce qu’on pourrait s’attendre à un projet plus long comme un album bientôt ?
H : Un projet plus long, ouais. Un album, j’aimerais bien mais c’est juste pas dans les tuyaux maintenant. J’aimerais bien, si ça devient plus sérieux, si mes ressources me permettent de me concentrer beaucoup plus sur la musique…
Parce que je pense qu’un album, ça demande beaucoup plus de temps. Si je peux me concentrer sur le son, que ça continue de grimper et qu’il y a la demande… Il y aura l’offre.
P : Est-ce que tu penses qu’à l’avenir tu seras un peu plus présent en terme de sorties musicales ?
H : C’est possible, c’est juste pas trop ma manière de fonctionner pour le moment. Mon calendrier dépend vraiment de la qualité que je sors. Beaucoup plus que la demande ou les standards de la musique aujourd’hui. Maintenant, il faut être hyper régulier. Ça peut être un défaut de sortir qu’un projet par an… Surtout que Trillsaison, c’était la seule chose que j’avais sorti en 2020.
Après, je peux faire 20 sons par an. Mais, s’il y en a que 10 qui sont hyper qualitatifs, je voudrais pas sortir de la merde. Je préfère mille fois sortir 10 sons de dingue dans l’année, plutôt que l’inverse. Même si ça peut être bien reçu ! Si je ne suis pas assez convaincu pour bien le défendre, je ne le ferai pas. En tout cas, pour l’instant.
J’ai toujours cette volonté de faire de la punch et c’est ce qui me tient à coeur.
P : Qu’est-ce qui a changé entre le Hunter de 2016 qui se lance en solo et le Huntrill d’aujourd’hui ?
H : (Rires) On paye plus les studios à l’heure ! Ça, c’est déjà énorme. Il y a quelques jours, j’écoutais mes anciens sons et je trouve que j’ai évolué. J’ai toujours cette volonté de faire de la punch et c’est quelque chose qui me tient à cœur. Je sais que le game et la musique peuvent changer, que rien n’est fixé…
Tu peux commencer sur de la punch et finir sur autre chose. J’aurais très bien pu changer de thème mais je suis resté fidèle à mon truc et mon idée de base. Après, voilà, une meilleure vision, plus de Margiela, plus de sappes et moins de studios à l’heure ! (Rires)
P : Est-ce qu’il y a une dernière question que je n’ai pas posé sur laquelle tu aimerais t’exprimer ?
H : Je vais sortir un projet avant l’été !
REPLICA est disponible sur toutes les plateformes de streaming.