Heloïm : « Ma musique est une histoire de spontanéité et d’énergie »

Qualifier la musique d’Heloïm n’est pas chose aisée. Véritable électron libre, le rappeur rouennais de 25 ans repousse les limites du genre pour proposer un son festif, dynamique et authentique oscillant entre rap, trap et baile funk. Un vent de fraîcheur dans le rap actuel, toujours plus hybride.

Quelques jours après la sortie de DERNIER RUSH, nous avons rencontré Heloïm à Paris dans le 18ème arrondissement. Un échange haut en couleur où le Brésil et le dougie se mêlent aux pas de Chris Brown et au flow de Lil Wayne.

crédits : @k8vails

Salut Heloïm, comment tu vas ?

Ça va très bien et toi ?

Très bien merci ! J’ai vu que tu venais de Rouen. T’as grandi là-bas ?

Moi je suis né au bled et je l’ai quitté à 7 ans. Puis, j’ai été en Belgique vite fait avant d’aller chez ma tante à Saint-Denis, le temps que mon père m’inscrive à l’école à Rouen. Donc oui, on peut dire que j’ai grandi à Rouen mais surtout dans mon quartier, à Maromme. 

Elle représente quoi pour toi cette ville ?

C’est assez calme et chill, même si les gens sont parfois un peu fermés d’esprit. Mais c’est en me confrontant à leur jugement que j’ai compris que je devais assumer ma différence. Si j’avais grandi à Paris, j’aurais moins ressenti ce besoin. Et puis c’est là-bas que j’ai fait mon parcours scolaire, rencontré mes amis et mes connaissances (parce qu’il y a une différence entre amis et connaissances) donc c’est un peu ce qui a fait ma personnalité. Alors tant que je suis en France, je resterai à Rouen.

Dans ton projet précédent, HLM 2, tu insistais sur le fait que tu viennes de cité mais que t’aies jamais vendu de drogue : « J’viens d’la tess mais j’ai pas vendu en bas du bloc » (TOUS LES JOURS), « J’ai pas vendu en bas, j’dis la vérité » (BIBERON). C’est important pour toi de le préciser ?

Je ne vais pas m’inventer une vie. Je vis à la cité, je côtoie des personnes qui sont là-dedans ou l’ont été mais personnellement je ne l’ai pas fait. Comme dans “MALAGA”, quand je dis : “J’check les ienclis mais c’est pas moi qui les visser”. Les ienclis je les vois depuis petit mais moi je leur ai jamais rien vendu. Après c’est pas parce que je le fais pas que je sais pas comment ça fonctionne ! (rires).

Tu sors des sons seulement depuis 2020. Comment t’as commencé la musique ? 

Un peu avant la période Covid, j’avais récupéré l’appart’ de mon grand-frère. Ça a été un peu mon premier appart’ à moi tout seul. Un poto à moi venait souvent à la maison. Avec lui, j’ai commencé à beaucoup écouter la nouvelle scène française, surtout Cinco et Captaine Roshi. Je me retrouvais en eux dans ce qu’ils disaient mais aussi dans leur énergie. Alors on s’est mit à prendre des type beats sur Youtube et freestyler dessus pour rigoler. Très vite mon pote m’a dit que j’avais une façon de poser assez différente des autres et m’a dit d’aller en studio. Mais moi mon père est pasteur donc je peux pas dire de dingueries ! (rires).

Finalement on a trouvé un studio associatif à 12 balles l’année alors on y est allé. On a fait un premier son mais comme j’avais jamais fait de son de ma vie, j’ai suivi les instructions de l’ingé (ingénieur son). Le problème c’est que je change facilement mes intonations de voix et lui avait rajouté de l’autotune dessus donc le résultat était nul de fou ! (rires). En plus, le studio était à 30 minutes de car donc pendant tout le retour j’étais zehef ! (rires). Mais mon pote m’a convaincu d’y retourner. Cette fois-là, je me suis plus écouté, j’ai demandé à l’ingé de me laisser faire ce que j’avais en tête et le résultat était bien : c’est d’ailleurs le premier son que j’ai sorti sur Youtube qui s’appelle “Yoka#0”.

Ensuite, j’ai rencontré Waram avec qui c’est devenu plus sérieux. Comme lui avait déjà FL (FL studio), on a rapidement acheté un micro qu’on a gardé jusqu’à maintenant (on a même enregistré les maquettes de DERNIER RUSH avec !). Il avait aussi un studio à disposition à la fac’. En parallèle, il a apprenait la prod’ à Elliot (aka NZLLY) qui est le meilleur ami d’enfance de Mathis, mon directeur artistique. On s’est tous regroupés et comme on était à nos débuts, on a continué à bosser ensemble jusqu’à aujourd’hui. Depuis, c’est la famille : on s’entend bien et y a un vrai feeling entre nous. On a des projets à long terme. On sait pas ce que ça va donner, mais ça va donner !

Dans « CROCS » sur HLM 2, tu dis aussi « Moi en fait j’suis né au Congo moi / C’est pour ça qu’au stud j’suis à l’aise moi ». Être congolais c’est un avantage dans la musique selon toi ? 

Y a qu’à voir tous les artistes congolais qu’on a aujourd’hui en France : on a créé une dictature dans la musique (rires). Comme mon père est pasteur, mes premiers contacts avec la musique c’était à l’église : ça chantait, ça dansait… Donc en grandissant j’ai simplement reproduit ce que j’avais vu, c’est devenu instinctif. Mais en fait, que tu sois religieux ou pas, si tu es congolais tu as forcément grandi dans la musique. 

Dans ta musique, les influences brésiliennes sont très présentes. En particulier, le baile funk (je pense à l’EP UN DOS TRES avec notamment “EFEKELE” et “GO” mais aussi “PAS GENTIL”). C’est une musique qui t’a matrixé ? Comment tu t’es intéressé à ces sonorités là ? C’était quoi la porte d’entrée ?

Je suis pas forcément matrixé par le baile funk mais comme c’est une musique festive, forcément ça me parle beaucoup. Déjà sur HLM 1, dans un son qui s’appelle “CHAOS”, Waram avait donné une couleur brésilienne à la prod’ pendant que moi je faisais les “doom cha cha doom cha”. Mais l’envie de faire du baile funk est surtout venue d’un séminaire à Cannes en 2021 : Mathis nous avait fait écouter un mix qu’il avait découvert sur SoundCloud et qui sonnait vraiment “favelas”. C’est à ce moment-là qu’on s’est dit que nous aussi on voulait en faire mais à notre sauce. “PAS GENTIL” et UN DOS TRES, sortis à l’été 2023, sont les résultats de cette recherche.

Chez toi, l’influence du Brésil passe aussi beaucoup par le foot. À la soirée FRAP, le samedi 4 mai, tu portais le maillot de Roberto Carlos sur scène mais aussi celui de Ronaldinho dans le clip de GO. Ton gimmick “Loïmphenooo” rappelle aussi le surnom de Ronaldo (Il Fenomeno). Pour toi, il y a pas plus fort que la Seleção des années 90-2000 ? Pourquoi ?

Aujourd’hui, il y a plus fort que le Brésil. Mais à l’époque, ils nous ont fait rêver. On a fait partie de la génération qui a vu le vrai football : le foot samba. J’adore Zidane mais vraiment Ronaldinho c’était autre chose. Qui d’autre que lui, dans un clasico, peut mettre un doublé et être acclamé au Bernabéu, à Madrid, alors qu’il joue pour le Barça ? Personne. Et puis y’avait aussi les Fifa Street, les Komball, la pub Adidas dans les favelas… Non vraiment on a vécu une sacrée époque !

T’es déjà allé au Brésil ou alors t’as prévu d’y aller un jour ?

Non j’y suis jamais allé mais l’envie s’est renforcée avec le baile funk. J’ai aussi en tête le clip de Snoop Dogg et Pharrell à Rio qui est vraiment génial. J’aimerais y aller avec toute mon équipe un jour. Puis, avec l’ambiance qu’il y doit y avoir là-bas, je suis sûr qu’en y étant on peut créer de belles choses car ma musique est vraiment une histoire de spontanéité et d’énergie, je ne la réfléchis pas.

Ton dernier EP s’appelle « DERNIER RUSH ». Pourquoi ce nom ?

Pour faire ce projet, on a couru contre le temps. On était dans le rush avec nos taffs respectifs et les délais à tenir étaient serrés. Le mot “rush” représentait donc bien l’année qu’on a vécu et on voulait que l’année 2024 soit le dernier rush avant ce qui arrivera après. Venant d’une famille croyante, ce que tu proclames est très important. Alors avec ce titre, je proclame où et ce que je suis censé être plus tard. Mais je ne suis pas pressé, je vis ma carrière étape par étape. Les choses arrivent toujours au bon moment. Chacun sa route, chacun son rythme.

Musicalement, TA CAPTER, le single du projet, est très marqué par la dougie et la snap music. Tu dis d’ailleurs dans un tweet que cette époque t’a bousillé et que c’est ton mouvement hip-hop préféré. Pourquoi ?

Le son “TA CAPTER” date d’il y a 2 ans, c’est le premier qu’on a fait pour le projet. Mais je sentais que ce n’était pas encore le bon moment pour le sortir car je m’étais dit qu’à partir du moment où je le sortirai, j’entrerai dans une nouvelle DA. Avec ce son j’ai voulu retranscrire ce que le Heloïm “jeune” s’est pris dans la musique. Je ne voulais pas m’imposer de règles, je voulais juste rendre hommage à la musique que j’aime et qui m’a marqué. 

En l’occurrence, moi c’est l’époque Soulja Boy, Lil Wayne et ensuite celles du dougie et du jerk qui m’ont matrixé quand j’étais petit. C’est même avec le dougie que j’ai appris la danse en vérité. À cette période-là, je voulais vraiment être Américain parce que pour moi, c’était la période où le hip-hop était le plus joyeux. C’était la fête tout le temps, tout le monde dansait ! En fait, ces mouvements ont fait de moi la personne que je suis aujourd’hui, aussi bien dans la manière de m’habiller que de parler ou marcher dans la rue.

De manière générale, la danse a une grande place dans ta musique. Sur scène, tu es un électron libre et surtout, tes gestus montrent que t’es/t’étais un danseur hip-hop. Ça te tient à cœur que la danse soit aussi centrale dans ta musique ?

Ça se fait naturellement et ça, pour une raison simple : je suis Congolais ! (rires). La danse et la musique sont ancrées dans notre culture. Là-bas, si je toque sur un meuble, mon petit neveu commence à danser en rythme alors qu’il ne sait même pas encore bien parler. Mais au delà de ça mon côté performance vient de la télé : petit, j’ai beaucoup regardé les clips de Michael Jackson, de Beyoncé et de Chris Brown mais aussi des films de danse comme Steppin’ et Sexy Dance 3. Après ça, je me suis mis à la salle de danse et je regardais des tutos de dougie chez moi.

Dans une story il y a quelques jours, tu disais que tu avais écrit “MALAGA” sur WhatsApp. Comment tu écris tes sons de manière générale ?

Moi, j’ai très vite mes refrains. Parfois, j’écoute 10 secondes de la prod et j’ai déjà mon refrain. En vrai, c’est mes refrains qui dictent l’énergie de mes sons. Je construis vraiment mes morceaux autour d’eux. C’est le cas de “FAN DE MOI” et de “TA CAPTER” par exemple. Donc si je n’ai pas de refrain qui me vient, je change de prod’. 

Tu accordes beaucoup d’importance à la vidéo (tu as déjà pas mal de clips dehors). C’est primordial pour toi de donner du visuel à ta musique ?

Oui parce que c’est comme ça que j’ai découvert la musique. Je dis souvent que Lil Wayne est mon artiste préféré mais ce n’est pas sa musique uniquement qui m’a marqué, c’est sa personnalité dans son ensemble : son attitude, son style vestimentaire… Et ça, ça passe par l’image et donc le clip. 

C’est ça qui fait que tu as une identité en tant qu’artiste et que les gens s’attachent à toi. Après, tous les artistes n’en ont pas besoin aujourd’hui, ça dépend de leur DA. Mais pour ma part, je pense que l’énergie que je dégage doit être retranscrite visuellement et scéniquement. C’est un tout.

Musicalement, on ressent aussi beaucoup l’influence de Pharrell. Sur « FAN DE MOI », on entend la bassline emblématique de NERD et la prod de « COOL » fait écho à celle de “Mr. Me Too” de The Neptunes pour The Clipse. Quelle place la musique de Pharrell a a eu dans la construction de ton identité musicale ?

Pour être honnête, elle n’a pas eu une grande importance dans ma vie. Mais je me suis pris des musiques qui ont découlé de lui. Par exemple, le mouvement dougie par lequel j’ai été influencé a emprunté des sonorités crunk mais aussi très certainement des sonorités initiées par Pharrell. Pareil, pour le mouvement jerk. En fait, j’ai été plus sensible à l’héritage de Pharrell que par sa musique en elle-même.

Par l’énergie que tu transmets et ton délire un peu décalé, tu me rappelles aussi les XtrmBoyz (Slimka, Di-Meh, Makala). C’est des artistes que t’écoutes ou que t’as écouté par le passé ?

Je capte totalement cette comparaison. On m’a fait découvrir leur musique il y a quelques années et je les écoute encore quelques fois. Mais j’ai beaucoup plus été influencé par l’énergie de Cinco, de Captaine Roshi mais aussi des Gradur, Niska ou même des Zola et Koba quand il ont commencé. C’est eux qui m’ont montré qu’il y avait de la place pour être soi-même dans le rap français. Après, je pense que j’ai beaucoup d’influences en commun avec ces artistes-là (les XtrmBoyz) et que c’est pour ça que nos musiques sont très proches. Dans son interview avec Mehdi Maïzi, Slimka dit d’ailleurs qu’il a été bousillé par l’époque du jerk. Et puis c’est quelqu’un pour qui la scène est très importante, c’est un performer ! Donc je partage beaucoup sa vision.

Avec qui tu te verrais bien collaborer dans le paysage actuel ?

Moi je suis grave dans l’humain. Même si je rencontre quelqu’un qui fait une musique totalement différente de la mienne, si on s’entend bien, je peux créer quelque chose avec cette personne. Donc, je suis ouvert mais ce n’est pas non plus quelque chose que je recherche à tout prix. Tu me parlais des Suisses juste avant : je sais que la session studio serait méchante vu les influences et l’énergie qu’on partage ! 

Qu’est-ce que t’écoutes en ce moment ? En France ou ailleurs ?

Aujourd’hui, j’écoute beaucoup plus de rap français que de rap kainri. Ce qui m’a touché dans le rap américain s’est passé avant. Il y a toujours des trucs lourds qui sortent mais la majorité de ce qui se fait aujourd’hui me touche beaucoup moins. Mais en France, j’écoute beaucoup Jolagreen23, La Fève et Khali. Skefre aussi ! 

Avec toutes les influences qu’on a cité, toi comment tu résumerais ta musique aujourd’hui ? C’est quoi le son d’Heloïm ?

Ma musique c’est de la liberté. Il y a beaucoup de joie, un peu de calme et quelques fois un peu de mélancolie aussi. Mais en vrai je n’ai pas de limites, je ne mets pas de barrières. J’expérimente. Si je kiffe un truc, je le fais à fond. La musique me sert juste à transmettre mon humeur du moment. De toute façon, en ayant grandi au bled, j’ai appris à être joyeux même quand il y a des soucis. Donc comme je suis souvent de bonne humeur, ma musique l’est aussi.

crédits : @k8vails

Est-ce que c’est difficile pour toi d’allier travail et musique au quotidien ?

En vrai, j’ai un taff assez tranquille : je travaille pour Orange Business. En gros, je conseille les entreprises qui commandent des téléphones donc si elles m’appellent je décroche mais sinon j’attends leurs appels. Et comme je suis pas mal en télétravail chez moi, j’ai mon PC et mon micro à portée de main donc j’en profite pour faire du son quand j’ai des inspis. Mais bien sûr avoir un taff en parallèle ça reste un frein car j’aimerais me concentrer davantage sur ma musique. 

Ce projet c’est ton « DERNIER RUSH ». Mais le dernier rush avant quoi ? C’est quoi la prochaine étape ? Qu’est-ce qui arrive ensuite ?

Dieu seul sait ! C’est lui qui décide de ce qui va arriver. Si ça se trouve l’année prochaine tu vas m’interviewer à Bercy, qui sait ? En attendant, on continue d’avancer pas à pas et on prend ce qu’il y a à prendre. Quoi qu’il en soit, mon destin est déjà écrit et j’ai confiance en lui.

DERNIER RUSH d’Heloïm est disponible sur toutes les plateformes de streaming :

Retrouvez notre dernière portrait sur Shien.