Le 1er juin dernier, une brume hivernale a rafraîchi la scène hip-hop française en plein printemps avec la sortie du nouveau projet de Malo, sobrement intitulé iD. Deux ans après la sortie de sa première mixtape Froidcommedehors, le rappeur magnétique aux sonorités envoûtantes et à la plume glaciale continue de susciter la curiosité de ses auditeurs.
La Pépite : Froidcommedehors, ton premier projet, est sorti en juillet 2021. 4×4, ton deuxième, en juin 2022, et tu reviens un an plus tard à la même avec iD. Tu fais beaucoup de références au froid et à l’hiver de manière générale dans tes sons, et pourtant jusqu’à présent, tes projets sont sortis pendant la période estivale. C’est volontaire ?
Malo : C’est fait exprès, j’aime bien les paradoxes et j’aime bien prendre les gens à contre-pied. Le froid représente une grosse part de mon ADN, j’en parle beaucoup parce que c’est aussi ce qui me définit en tant qu’artiste. Même si mes projets sont alimentés par l’hiver, ils restent avant tout des projets intemporels et on peut les écouter à n’importe quel moment de l’année. C’est aussi ça que je cherche à montrer.
LP : Pour annoncer ton projet, tu as expliqué sur tes réseaux sociaux que iD, c’est toi en 11 fois. Avec ce projet, on a un peu l’impression que tu définis ta propre identité, artistique comme personnelle. Tu le fais pour toi ou pour aider tes auditeurs à saisir toute l’étendue de ton univers ?
M : Je suis déjà dans l’introspection de base avec ma musique, mais ça reste assez subtile, ce qui ne facilitait pas la tâche aux gens pour s’identifier à moi et pour capter qui est Malo. J’ai pris mon prénom comme nom d’artiste, je pars déjà sur une base de transparence et je voulais aussi montrer que j’ai rien à cacher.
LP : Pour teaser la sortie du projet, tu disais aussi : « Peu importe ce qui se passe autour, je dois rester lucide, léger sur mes appuis, mais toujours rester concentré sur l’essentiel et bosser dur. Y’a que comme ça que j’vais m’en sortir. » Finalement, quand tu t’exprimes de cette façon, ça ressemble beaucoup à des notes que tu t’adresses à toi-même, pour rester fort et endurant. On comprend tout de suite que t’as une mentalité de bosseur et d’acharné, tu gardes la tête froide. Cet état d’esprit s’est développé avec la musique ou ça a toujours fait partie de toi ?
M : Je viens d’une famille de sportifs. Mon père a été basketteur et ce qui l’a fait sortir d’où il venait, c’est le basket. A la maison, c’est très sérieux, très strict, mentalité camp d’entraînement. En plus, je suis fils aîné, ça veut dire qu’il faut que je laisse quelque chose à mes petits frères.
LP : Leur montrer l’exemple à suivre ?
M : C’est ça. Il faut faire des erreurs mais ne il ne faut pas les laisser te définir. Il faut rester très lucide au niveau des émotions pour ne pas se laisser dépasser. T’as fait une connerie, c’est comme ça.
Découvrez MÉDICATION, le dernier clip de Malo directement tiré de son dernier projet iD.
LP : Est-ce que t’as adopté cet état d’esprit parce que t’as peur de flancher un jour et de perdre ta motivation ?
M : Non, c’est juste que j’ai fait beaucoup d’erreurs dans ma vie. On est dans un monde injuste : j’ai fait mon lot de conneries et de mal aux gens, mais derrière, ma vie continue d’avancer. Elle se passe bien parce que je travaille pour, mais il y a beaucoup de personnes pour qui ça n’avance pas. Pour eux, la vie est restée injuste, aucun fruit n’est venu à aucun moment. Je pense par exemple à mes petits frères. Ils sont en plein dedans.
Ils ont eu une vie injuste jusqu’ici, comme moi, mais celui qui s’en sort le plus, c’est celui qui a fait le plus de conneries. Je trouve ça injuste ! J’estime que j’ai de la chance, j’ai Dieu qui m’aime. Mais c’est pas en faisant des conneries qu’on obtient ce qu’on veut. J’ai montré l’exemple à ne pas suivre à mes petits frères. Maintenant, le seul truc où je sais que j’m’en sors bien, c’est la lucidité et la gestion des émotions.
Pour ce projet, il a fallu que j’aille baigner dans des émotions que je voulais pas ressentir.
Malo
LP : Tu le dis toi-même, beaucoup d’émotions différentes ont été mises dans ce projet et ont probablement été tes principales sources d’inspiration.
M : Ma musique évolue en même temps que moi. Elle est faite en fonction de ce qui se passe dans ma vie au moment où je la fais. Quand j’ai sorti mon premier projet, tout se passait bien. Quelques mois plus tard, quand je me rends compte que y a moyen que ça devienne sérieux, je perds mon cousin qui se donne la mort. C’est avec lui que j’ai commencé la musique. A la base, je me suis toujours dit que j’étais pas attiré vers le rap triste, que j’voulais juste découper des prods etc. Mais cet événement ça m’a complètement chamboulé moi et ma vision de mon rêve parce qu’au final, le mec avec qui tu voulais faire ça est parti. Il est plus là.
Ça remet tout dans un contexte différent, et en même temps, ça remet tout à sa place. Déjà que j’en avais lourd sur le cœur… Là, beaucoup trop d’émotions sont remontées. J’ai vécu un véritable ascenseur émotionnel et j’étais pas prêt pour ça, alors que j’ai l’habitude qu’il se passe des trucs et que ça soit la merde. A chaque fois que je faisais de la musique, je pensais à lui et ça me rendait tellement triste.
LP : J’imagine que ça n’a vraiment pas dû être évident.
M : Entre ça et les autres personnes que j’ai pu perdre jusqu’à aujourd’hui et les changements que la musique peut apporter, les gens qui t’aimaient pas à la base et qui t’aiment bien maintenant, et inversement… Au bout d’un moment, tu comprends plus rien. Ce nouveau projet, je l’ai fait sans savoir où j’allais. Je m’en suis servi pour m’alléger, dire ce que j’avais à dire et être réellement identifiable. Une partie de la colonne vertébrale de ma musique, c’est ça : essayer de parler aux gens comme moi qui n’ont pas toujours eu quelqu’un pour leur parler.
J’ai eu de la chance d’arriver là où je suis aujourd’hui parce que j’ai rencontré des personnes lorsque j’étais plus jeune qui m’ont dit des choses très importantes. J’ai eu la chance de les entendre, mais d’autres non, alors aujourd’hui j’essaye de faire passer ce message de bienveillance dans toute sa neutralité. J’te brosse pas dans le sens du poil pour que t’aies moins mal, j’te passe aucune pommade. Pour ce projet, il a fallu que j’aille baigner dans des émotions que je voulais pas ressentir.
LP : Pour écrire tes morceaux, tu t’es remémoré des moments que t’as vécu pour te rappeler ce que tu ressentais à ce moment-là ?
M : J’emmagasine tout depuis toujours, c’est juste qu’il s’agit d’émotions que j’ignore et que je veux pas gérer. J’ai pas saisi l’occasion de les ressentir, je préférais les refouler, donc c’est resté là. C’est comme si tu perdais un proche, t’es malheureux et en même temps tu vis les meilleurs projets de ta vie. Il faut que tu restes focus alors tu vas t’interdire de ressentir quoi que ce soit…
LP : Et ça fait quel effet de s’ouvrir aux auditeurs ?
M : Avant que ça sorte, ça fait peur. A la base, je cache même mes émotions aux personnes que j’aime le plus. Je suis très pudique, même si sur scène c’est autre chose.
LP : Sur les 11 titres, on retrouve deux feats. Un avec Zamdane sur METEORITE, et un autre avec Khali sur LA VIE EST BELLE. Est-ce que tu as expliqué au préalable à Khali et Zamdane dans quel mood tu étais pour ce projet ?
M : Pas besoin, c’est mes frères.
Il faut être sûr que chaque truc est bien amené et bien envoyé, et surtout pas motivé par des craintes.
Malo
LP : Chez toi et dans ta musique, tout semble très soigné et naturel, délicat et discret. De mon point de vue, je ressens pas trop cette pression que certains artistes peuvent se mettre avec la surproduction et surconsommation musicale auxquelles on fait face aujourd’hui. Comment tu vois les choses vis-à-vis de ta propre productivité ?
M : Je reste très productif, je bosse non-stop. Je vois les choses différemment désormais en ce qui concerne ma carrière. Faut viser juste à chaque fois, et pour ça, faut prendre son temps, histoire de bien s’implanter comme nous on le veut. Une fois que c’est fait, on augmente la quantité et le volume. Mais avant ça, il faut être sûr que chaque truc est bien amené et bien envoyé, et surtout pas motivé par des craintes. Ça s’appelle faire des concessions créatives et ça, jamais de la vie.
LP : C’est vrai qu’il y a une grande lucidité chez toi et ton approche musicale.
M : Merci, après je suis bien entouré et ça change tout.
Il y a encore plein d’autres sujets à traiter et à voir et encore trop de choses à faire et à dire de différentes manières.
Malo
LP : On sent beaucoup le goût de la nouveauté chez toi. Et c’est vrai que dès ton premier projet, on sentait déjà les prémisses de ta patte artistique et de ton authenticité. Ta musique, que ça soit dans les paroles, le flow ou le choix des prods, c’est pas une recette que tu prends et que tu transformes légèrement, tu fais vraiment ton propre truc à toi et ça fonctionne. Et les prods que tu choisis sont vraiment folles, on ressent tout de suite toute l’importance que tu leurs donnes.
M : Carrément, je préfère que la prod soit bien et que je sois en dessous d’elle plutôt que l’inverse. Je dois tout à la prod ! J’ai construit ma sonorité grâce à Platinum. Je l’ai rencontré quand il avait 15 ans, via son cousin. Il a un truc à lui très singulier, ce qui écartait d’office certains artistes qui ont telle ou telle D.A. Les prods de Platinum, c’est un peu un challenge ! A l’époque, quand je le découvre, j’entends les meilleures prods que j’ai jamais entendues de ma vie en France, à l’exception de quelques classiques. J’commence à me dire que y a un chemin qui se dessine devant moi ! Mais à l’époque, j’suis nul, j’prends ses prods et je bosse.
LP : T’as conscience que c’est encore le début pour toi. Dans FETTUCCINI, tu dis toi-même : « j’suis qu’à 50%, pour l’instant j’me jauge ». Et quand tu te jauges, qu’est-ce qui en ressort alors ?
M : Je fais tout à ma façon. Il y a encore plein d’autres sujets à traiter et à voir et encore trop de choses à faire et à dire de différentes manières.
LP : T’es serein vis-à-vis de l’avenir ?
M : Je travaille et je m’en remets à Dieu.
iD est disponible sur toutes les plateformes de streaming.