Allebou, tout pour le Ginga

De son freestyle devant Maes à Planète Rap en 2020 à la sortie récente de “Bunraku”, il s’est passé beaucoup de choses pour Allebou, initialement destiné à une carrière de footballeur. Entre les tremplins, les premières parties et ses nouvelles manières de travailler, Allebou n’a pas chômé. A l’occasion de cette mixtape, il a décidé de dévoiler chacun des titres de manière progressive, une fois toutes les deux semaines. Le but : la musique doit être digérée, et non plus seulement engloutie.

Le voici ici, en interview pour La Pépite, racontant la conception de cette mixtape, ses débuts, sa manière d’écrire, etc. Le rappeur nous parle également de la Ginga Party, soirée de gala qui s’est déroulée fin mai au Mans pour fêter la sortie du projet. Avec SDM et Jey Brownie en têtes d’affiches. 

As-tu grandi dans un environnement familial proche de la musique ?

Pas forcément en ce qui concerne ma mère. Mon père écoute de la musique, beaucoup de blues, de jazz et de la bossa nova. En ce moment, il est à fond sur Burna Boy et je lui ai fait écouter Jey Brownie, il kiffe ! Il aime les belles voix. 

Mon frère m’a vraiment initié au rap, avec ce qu’il écoutait. Kery James en premier. Je ne l’écoute plus très régulièrement mais, une fois par an, je me replonge dans toute sa discographie. J’étais à son dernier Bercy, en 2019. Il est rentré dans la salle par derrière, en traversant la foule. Sur scène, il a commencé le show avec “J’rap encore”. J’avais le sourire jusqu’aux yeux. 

Quels artistes écoutes-tu aujourd’hui ?

Lefa, à fond. Tu peux me poser la question chaque année, je te dirai toujours pareil. J’écoute un medley d’une heure sur YouTube, avec tous ses couplets de 2003 à 2012. En ce moment, je suis pas mal ce que fait 404Billy. Lesram, Sage Pee, Malo, LuidjiJosman chaque année, Dinos également. 

J’écoute uniquement du rap français, pas de rap cainri. Les gens qui m’entourent sont très branchés sur ce qui se passe là-bas, donc j’écoute par la force des choses. Parfois, je me prends des claques monumentales, et je regrette de ne pas m’y intéresser. Et sinon, j’écoute pas mal de bossa nova. 

A quel âge as-tu eu envie de faire du rap ? 

Vers 16 ou 17 ans. J’ai écrit mes premiers textes à 13 ans, mais seulement pour des clashs avec mes potes et mon frère. C’était de l’entraînement, comme un boxeur qui s’entraîne pour un combat. Plus tard, j’ai voulu sortir mon premier son, pour le faire écouter aux gens. Je suis allé à la MJC, où l’heure de studio était à cinq euros. Il était mis à disposition sans ingénieur son, mais je n’y connaissais rien. Je pensais que le titre allait sortir directement après l’enregistrement en cabine. Au moment d’écouter ce que j’avais fait, je capte que le résultat est “sec” et que la voix est sous-mixée. Je n’y suis allé qu’une fois, payant l’adhésion pour ne plus jamais y revenir. 

Tu viens du Mans. Quel rapport entretiens-tu avec cette ville ? 

Au début, je ne me posais même pas la question de ma ville pour faire du rap. Quand tu prends une prod sur YouTube, c’est la même chose au Mans ou à Paris. Aujourd’hui, je suis davantage à Paris qu’avant. Si tu veux faire ton son dans ton coin, sans trop te mélanger, tu peux tout faire au Mans.

Si on regarde ton parcours, tu as participé à de nombreux tremplins (Le Collectif, Buzz Booster, Les Inouïs du Printemps de Bourges…). Qu’as tu appris de toutes ces expériences ?

J’aime ce genre d’opportunités, car c’est la compet’. J’aime être en compétition avec d’autres gens, et voir qui gagne à la fin. Youssoupha a une phase où il dit : “Viens on fait péter les tarifs, viens on parie que je rappe mieux que toi” [titre “Viens”, album “Noir Désir]. C’est cette mentalité qui me pousse, et je me suis aussi construit un beau réseau avec toutes les rencontres que j’ai pu y faire.

Comment as-tu vécu l’exposition du freestyle au Planète Rap de Maes, chez Skyrock ?

J’ai fait le freestyle par téléphone un mercredi soir. Le lendemain, la radio m’appelle en m’annonçant que je suis invité par Maes pour venir dans le studio. Quand j’y repense, j’ai vraiment remarqué le pic d’exposition au moment. C’est bien tombé car, un mois après, ma première mixtape sortait. Le but était de rediriger ce nouveau public vers mon projet. Maes a bien aimé ma performance et souhaitait m’inviter sur sa tournée pour assurer ses premières parties. Mais, tout a été mis en stand-by avec le COVID, qui a freiné tout ce qui était enclenché pour moi à l’époque.

Mais, comme la vie est bien faite, je pense que c’était un mal pour un bien. J’ai rencontré KRUMPP trois mois après, et j’ai vu la différence. Je pense que j’aurai été nul sur scène si j’avais fait les premières parties de Maes initialement prévues. J’aurais montré une mauvaise image de moi, alors que l’exercice de la scène est très important. Par exemple, la Ginga Party est pensée comme un concert unique, le seul de cette année sur ce format. J’ai fait des sons spécialement pour cette date. 

Tu dévoiles l’album “Bunraku”, un an après l’EP “Esquisse”. Quelles sont les différences entre les deux projets ? As-tu travaillé cet album d’une manière différente que l’EP ?

Bunraku” doit raconter quelque chose. Les titres de “Esquisse” ne rentraient pas dedans, même si ce sont de bons morceaux. Concrètement, je savais qu’il y aurait “Bunraku” avant même de penser à “Esquisse”. J’ai rapidement eu la trame en tête, avec l’idée de la tracklist : si tu regardes, les titres des morceaux forment une phrase quand tu les mets bout à bout. 

C’est la première fois que je travaille aussi rapidement. Pour chaque son, je savais à l’avance de quoi il allait être question. Pour “Prélude”, “Quidam” et “constance =”, je savais où j’allais, et j’ai fini les trois sons en deux jours seulement. Je re-travaille très rarement les sons, il peut m’arriver de les reposer parfois selon les retours de l’ingénieur du son. A part ça, la première intention est toujours la bonne. 

Comment te vient l’inspiration pour tes textes ?

Sur mon téléphone, j’ai une note qui s’appelle “notes”. J’y mets tout, des idées, des phrases, des thèmes, etc. Parfois, juste deux mots qui riment bien ensemble. Je me souviens d’une suite “moustique / loustic / douze types / acoustique”. On aime bien se mettre des défis, comme celui de faire un son en une heure, à l’image des vidéos de Booska-P. Dans ces moments-là, je reviens directement dans mes notes, et ça m’aide. Sur certains morceaux, j’ai l’idée de la phrase d’intro. Sur “Quidam”, je savais que je voulais commencer par “Qu’est-ce que c’est trop bon la vie de quidam”.

J’aime trop me mettre des défis. Pour fêter la nouvelle année, on s’est chauffé pour faire un titre en une journée, avec la prod, l’enregistrement et le clip. Le morceau est sorti uniquement sur YouTube, si tu tapes “Malandro Freestyle”. Dedans, je tease des EP qui n’étaient même pas encore prêts à l’époque, mais ça m’a poussé à travailler encore plus. Donc, il y aura des actus toute l’année (rires).

Tu arrives à trouver des images qui sortent de l’ordinaire, comme celle concernant Neymar qui dit “bonjou” à la caméra, sur “Jusqu’à”. D’où te viennent-elles ?

(rires) Tu as la référence ? Ce genre de phrases partent de nos délires. Pour celle-ci, on était en séminaire et l’un de nous est tombé sur cette vidéo. On était tous KO. Les jours suivants, on se disait bonjour comme ça le matin. Quand j’ai fait le titre, j’avais ça en tête, tout simplement.

Comment est venue l’idée de dévoiler les titres les uns après les autres, laissant le public découvrir l’album au fil des sorties ? 

La musique est consommée trop vite. Je voulais ralentir la cadence, que le public digère chaque son. A l’heure de la consommation fast-food, venez on ralentit tout ça ! A la fin, je vais défendre l’album comme si tous les titres étaient sortis le même jour. Je perds rien à faire de cette manière, donc autant que le public prenne chaque son, les uns après les autres.

Comment jauger le nombre de personnes qui suivent ta musique ?

Les ventes, en vrai. Quand tu sors un projet disponible en physique, tu vois les gens qui sont là et qui te soutiennent. La fanbase, c’est ceux qui achètent un CD juste pour te soutenir. C’est un peu plus large que cette vision, mais globalement, c’est l’idée. Sur “Esquisse”, c’était la première fois qu’on mettait des exemplaires en physique : les 100 CD mis en vente sont partis. Dans quelques années, je ferai un bail avec tous ceux qui l’ont acheté, un concert privé avec juste ceux qui ont “Esquisse”. 

A Nantes, en octobre dernier, je faisais la première partie de Ziak. A la fin du concert, un frérot est venu me voir avec ce CD. C’était la première fois qu’on venait me voir avec un de mes disques. Le public qui te découvre et te rencontre lors des premières parties, c’est eux les plus puissants. 

Tout au long de l’album, on sent que certaines valeurs sont primordiales (le travail, le respect, la patience…). D’où te viennent-elles ? 

Sport études foot depuis petit, ça vient de là. J’avais entraînement tous les jours, et matchs chaque weekend, aux quatre coins de la France. Malgré ça, mes parents me poussaient à ne pas lâcher l’école, donc j’étais obligé d’être chaud. Je prenais le bus à 6h45 le matin, puis entraînement tous les soirs et enfin, retour en tram et voiture. Je n’avais pas beaucoup de temps pour faire les devoirs et, en plus de tout ça, je faisais du son. Tu es obligé de t’organiser et de compartimenter ta vie. La rigueur que j’ai aujourd’hui vient de toute cette longue période de ma vie. 

Le “Ginga” est un mot qui te suis depuis longtemps. Que représente-il pour toi ? 

Le ginga est un mouvement de capoiera, anciemment utilisé par les Brésiliens noirs et esclaves. Il leur était interdit de jouer au football avec les Blancs. Quand ils le faisaient, les Blancs voulaient uniquement les tacler et faire des fautes sur eux. Les Noirs étaient obligés de faire des feintes pour les esquiver, d’où ce mouvement de capoeira. C’est à ce moment que le dribble est né au football. 

Me concernant, j’aimais tellement dribbler quand j’étais sur le terrain. Je suis le genre de joueur qui ne fait pas de passes, car je préfère mettre un petit pont qu’un but. Avec mes potes, c’était devenu un gimmick de dire “ginga” quand j’avais la balle. Alors, il fallait que je batte l’adversaire en un-contre-un. 

Dans la musique, c’est ça aussi, l’art de l’esquive, de feinter dans les placements. Tu m’attends là, alors je vais aller de l’autre côté. C’est devenu une mentalité entre nous, avec le personnage brésilien du Malandro, qui utilise le Ginga. Il sait jouer avec les règles de la société pour les avoir en sa faveur.

D’ailleurs pour toi, être en featuring signifie-t-il être en compétition avec l’autre artiste ?

Seulement avec Susanôo (rires). Sur “Travail”, la prod arrive et tu sais déjà que c’est la compétition entre nous deux. C’est une rivalité saine, on va tous les deux dans le même sens. Quand c’est rap, on est l’un contre l’autre ; quand on est en mode chanson, on est vraiment ensemble. 

Tu travailles étroitement avec Susanôo, qui rappe et produit sur l’album. Que t’apporte-t-il ? 

Lui est compositeur, et je n’ai pas cette casquette. Il est aussi interprète, donc les toplines lui viennent naturellement. Nous avons une relation très fluide, on se connaît depuis 2016. J’aimerai qu’il sorte ses projets solos, il a tellement de sons en stock. C’est un malade, il est trop fort !   

Sur “Prélude”, tu dis “Y’a une vie à côté du rap”. Quelle est ta vie à côté du rap ?

Ma vie, c’est quand même beaucoup le rap. “J’rappe sur le rap parce qu’à cause de lui, je n’ai plus de vie”, comme dit Alpha Wann [sur “Flingtro”, album Alph Lauren]. Parfois, j’aime bien me déconnecter de tout ça aussi. Quand je dis ça, je ne vise pas l’art du rap, mais plutôt le game du rap 

Dans une interview récente, Hatik raconte ses pensées suicidaires et je vais t’expliquer pourquoi je prends spécifiquement cet exemple. Il a écrit un son sur son dernier album pour en parler, et ce morceau a pour titre la date du “03.03.22”. Ce jour-là, j’étais en première partie d’un de ses concerts et j’ai mis le feu sur scène. Il est passé après moi, et l’ambiance n’était pas forcément au rendez-vous. En écoutant son morceau, tu te rends compte qu’il est allé à l’hôtel seul après ce concert, avec des pensées ultra suicidaires. 

Moi, c’est pas ça que je veux dans le rap, j’ai peur de ce truc. Sur “Prélude”, je dis : “Paradoxal, j’ai peur d’avoir tout ce que j’attends donc au final j’attends quoi ?”. Je cours après une reconnaissance, mais suis-je certain de la vouloir finalement ? Je ne suis pas masqué, j’ai pas eu cette gamberge là au début. Là, je peux encore vivre ma vie de quidam, donc je profite. J’aime beaucoup la manière dont Lefa a géré cet aspect de sa carrière. Il ne raconte pas sa vie, il parle juste en musique. 

Sur “Les phares éteints”, tu dis “J’investis seul, j’ai ma SAS, aucune avance remboursable”. Pourquoi est-ce important pour toi de rester indépendant ?

C’est trop bien d’être libre. Mais attention, comme le disait 404 Billy : “Tu répètes que t’en en indé mais tu parles pas d’ton déficit” [sur “J’fais le bilan calmement”, album BLKKKK VAN GOGH]. Ce n’est pas une fierté non plus d’être indépendant, ça ne sert à rien si t’es à perte. Personnellement, je n’ai pas envie que mon histoire soit rattachée à quelqu’un qui a déjà écrit la sienne. J’aimerai aussi développer des artistes, avec bientôt du nouveau chez Ginga Music. La transmission me fait vibrer.

Pourquoi avoir choisi de faire une “Ginga Party” au Mans, pour la sortie de cet album ?

J’ai l’idée de cette soirée depuis longtemps, ne serait-ce qu’organiser un concert de rap avec beaucoup de monde. Je voulais faire comme à Nantes avec les Hip-Hop Sessions, ou même les soirées de Raplume à Rennes et Nantes, par exemple. J’ai envie de faire bouger la ville, car il n’y a rien à se mettre sous la dent en rap. C’est traditionnellement une ville électro-rock. Cette année, j’ai eu les moyens de mettre en place l’évènement, en m’associant avec Superforama. 

La scène rap du Mans est très riche, c’est pour ça que je l’ai autant mise en avant sur la soirée. Pendant une heure et demi, les artistes manceaux se succèdent sous la bannière “Le Mans All Stars”. Je les ai tous rassemblé, qu’ils soient connus ou plus confidentiels encore. Heezy Lee, bien connu comme compositeur, est présent pour son premier concert en tant que chanteur-interprète. De même pour Dada, Susanôo, Denza et plein d’autres. 

Sur la Ginga Party, je voulais aussi mettre une tête d’affiche, la Mouse Party et un coup de cœur. Jey Brownie était l’artiste qui m’avait le plus marqué au moment de faire la programmation de la soirée. 

Dernière question, une pépite à nous conseiller ?

J’ai envie de dire Susanôo. LINF aussi arrive très fort [@l_info]. Et Sage Pee pour finir. On était en soirée avec lui l’autre jour, il a tout retourné en faisant un morceau pas encore sorti. J’ai trop hâte que le son sorte, c’est vraiment l’écriture que j’aime. 

“Bunraku” de Allebou est disponible sur toutes les plateformes de streaming.