Mi-novembre, robdbloc a dévoilé son nouveau projet, intitulé “Rien ne change”. Un EP de sept titres, ambitieux et dense, qui donne une nouvelle envergure au rappeur originaire de Créteil. Bien entouré par le collectif du Goldstein (EDGE, Johnny Ola, Marty Santi…) et les artistes qui gravitent autour, robdbloc est un rappeur dont on aime découvrir la technique et la richesse des textes.
Nous avons eu l’occasion de le rencontrer et de l’interroger, entre autres, sur cette nouvelle étape que représente “Rien ne change”, sa vision du travail collectif et ses envies de s’évader.
Comment te sens-tu à quelques jours de la sortie de ton nouveau projet ?
Je suis surtout pressé que le projet sorte parce qu’on est vraiment focus dessus depuis des mois. Quelque part, je suis aussi content de passer à autre chose. Le premier morceau date d’il y a trois ans, même si on l’a actualisé récemment. Et sinon, on a vraiment construit tout le projet cette année.
Quel regard portes-tu aujourd’hui sur la trilogie “Appt.”, série de trois EP sortis courant 2021 ?
A l’époque, on récupérait seulement les chutes de studio qu’on décidait de sortir au fur et à mesure. Avec EDGE et YZLA, on avait des titres ensemble qu’on a publié à ce moment-là. Pendant le confinement, j’avais fait un morceau avec Esso Luxueux et Eff Gee, qui s’est retrouvé sur “Appt.404”. En y repensant, tout s’est fait sans vraie réflexion, contrairement à “Rien ne change”, qui résulte d’un travail vraiment approfondi. Ces EP m’ont permis de prendre la température et de savoir un peu plus vers où j’allais.
Tu es un artiste très référencé, aussi bien dans le rap français qu’aux USA. Quels sont les artistes qui t’ont le plus accompagné dans ta vie jusqu’à présent ?
J’ai été bercé par des choses que j’entendais quand j’étais petit : la Fonky Family, Doc Gyneco, le Wu-Tang Clan, Nas, etc. Ils m’ont éduqué au rap, comme l’ont aussi fait des 50 Cent ou la Mafia K’1 Fry. Après, j’ai évolué un peu avec le A$AP MOB, Kendrick Lamar et plein d’autres artistes français et anglophones. Et ça continue aujourd’hui, car on voit tous les jours de nouveaux artistes et de nouvelles propositions. Puis, mes gars écoutent beaucoup de musique, me font découvrir de nouvelles choses et vice-versa.
“Train de vie morne, presque banal. J’écoute encore Boss 2 Paname.”
Blunt
Le rap est-il venu à toi quand tu étais encore très jeune ?
J’ai découvert le rap assez jeune, avec les références que je t’ai donné. Ma cousine écoutait Saïan Supa Crew, IAM et du rap US. Ma sœur, elle, écoutait du rap plus mainstream. Elle m’a fait découvrir des artistes comme Disiz et Eminem. Puis, j’ai aussi grandi avec d’autres choses que du rap, que ce soit de la chanson française, du rock, etc. Je me suis juste plus bousillé au rap, en fait.
Sur “6993”, morceau sur lequel sont invités Tedax Max et Ratu$, tu lances “Dix piges que t’es là, t’as même pas de classiques”. Quelle est la recette d’un classique du rap, selon toi ?
Je vais prendre un exemple proche de moi, à savoir Jazzy Bazz. Aujourd’hui, “64 mesures de spleen” clôt chacun de ses concerts, alors qu’il est sorti il y a dix ans. Un classique n’est pas questionnable, mais il peut exister à des échelles différentes. Certains artistes ont leurs classiques à eux, sans qu’ils apparaissent ensuite dans les classiques évidents du rap français. La question à se poser pour définir un classique, c’est de savoir si, avec le temps, le morceau est encore dans les oreilles des gens. Pour moi, le classique peut ne plus être actuel ou avoir mal vieilli. Et aussi, chaque auditeur a ses propres classiques.
Personnellement, as-tu l’ambition de faire un classique ?
J’aimerais bien qu’on retienne mes sons, et marquer mon temps aussi, dans un sens.
Pour revenir sur “6993”, comment le morceau s’est-il construit avec Tedax Max et Ratu$ ?
L’idée d’associer les deux sur un de mes morceaux ne vient même pas de moi, au départ. C’est par l’intermédiaire de Ratu$ que j’ai pu rencontrer Tedax Max, qui nous a accueilli dans son studio à Lyon. J’accompagnais seulement Ratu$ faire un titre avec lui. Mais, j’ai commencé à écrire sur une des prods et j’ai posé mon couplet le lendemain. On a restructuré le morceau, tout le monde était d’accord pour qu’il finisse sur mon projet. Ce n’était pas forcément prévu mais tant mieux, et puis ça m’a permis de rencontrer un bête de gars.
Tu as beaucoup travaillé avec les mêmes artistes, ceux qui gravitent autour du collectif Goldstein (EDGE, Esso Luxueux, YZLA, Cheval Blanc…). Te sens-tu prêt à aller vers d’autres univers, à l’instar de ta collaboration avec Tedax Max ?
Oui totalement, même si je l’ai pas encore trop expérimenté. On est beaucoup entre nous, on se retrouve au studio, on y fait des morceaux et on se connecte avec le cercle élargi du collectif. Mais, j’écoute aussi des artistes avec lesquels ça me plairait de faire un titre. Dans la musique, on rencontre vite de nouvelles personnes, donc on verra si l’occasion se présente un jour.
Peux-tu me raconter l’histoire du collectif Goldstein ?
A la base, j’y venais en tant que client. On s’est très bien entendu, et musicalement, on avait les mêmes sensibilités. On aimait bien ce que les autres faisaient. J’ai d’abord rencontré Johnny Ola, puis EDGE, Marty Santi, et le feeling passait bien. Un jour, ils m’ont dit de passer au studio et m’ont proposé de rouler ensemble. En tout, on est une bonne dizaine, on a créé un collectif depuis. Et on a des potes autour qui roulent aussi avec nous, on est une grande famille !
Début 2022, tu apparaissais sur l’album “Memoria” de Jazzy Bazz (sur “Mental”). Personnellement, j’ai l’impression que Jazzy Bazz a passé un nouveau cap avec cet album. Comment as-tu vécu le succès de cet album ?
Dans l’équipe, on a vécu le lancement de l’album en étant agréablement surpris. Jazzy Bazz a une carrière en constante progression depuis le début, mais là, on a capté qu’il avait passé un vrai cap. Pour moi, c’était une fierté d’être invité sur ce bel album et d’avoir eu sa confiance. Quand on regarde le disque aujourd’hui, c’est comme si c’était notre objet à tous : chacun y a mis un peu de sa personne.
Sur “Plein Temps”, tu dis “Fais pas comme moi, même si ça a l’air simple”. Recommanderais-tu à un adolescent de devenir rappeur et de vouloir faire carrière ?
En y repensant, ça me faisait vibrer quand j’étais plus jeune. Maintenant, quand je vois où ça me mène, je ne regrette pas. Par contre, ça a mis du temps à se mettre en place, même dans ma tête : est-ce que je peux faire quelque chose avec ? Mais, si ça te fait kiffer, bien sûr que je le recommande. Il faut juste savoir être patient, garder les pieds sur terre et s’entourer de personnes bienveillantes.
Au fil du disque, tu évoques souvent ton envie de quitter la région parisienne, avec l’impression que tu t’y sens trop à l’étroit. Pourquoi cette envie de partir ? Qu’est ce que le voyage t’inspire ?
Ici, rien ne change et j’ai eu l’impression de vivre les mêmes choses, de tourner en rond. J’ai souvent eu envie de partir, j’ai d’ailleurs failli le faire à quelques reprises. C’est toujours dans un coin de ma tête, mais pour plus tard. Je suis aussi plus en place dans ma tête et dans ce que je fais au quotidien.
Je n’ai pas beaucoup voyagé dans ma vie, et c’est ce qui m’inspire : je reste frustré de ne pas en avoir eu l’occasion jusqu’ici. A chaque fois qu’on bouge de Paris, j’ai l’impression d’être ressourcé et ça rend le retour moins difficile. D’ailleurs, les voyages se transforment toujours en résidence parce qu’on part en équipe et qu’on kiffe faire du son partout.
En parlant de voyage, tu étais à New-York récemment pour tes projets musicaux. Tu en as également profité pour performer sur la session freestyle de la Grünt Saboteurs (avec Deen Burbigo, Eff Gee, Ratu$, Esso Luxueux, Stutt et Blaz Pit). Quel est ton lien avec l’exercice du freestyle ?
J’en ai beaucoup consommé, beaucoup fait aussi. J’ai aussi participé à des open-mics, où ça partait même en freestyle devant le lieu de l’évènement. Le freestyle te familiarise avec le concept de public et on voit directement ceux qui savent faire ça.
De mon côté, je ne me suis pas forcément toujours trouvé très à l’aise pour des discours, etc. Au début, tu te pousses un peu, puis tu prends confiance. Quand tu rates, ça peut te nuire ou, à l’inverse, te pousser à faire mieux la fois d’après, et ainsi de suite. Pour ma part, j’en ai tiré que du positif et j’y ai fait beaucoup de rencontres.
Préfères-tu le freestyle ou l’enregistrement en studio ?
Le studio. On ne fait plus de freestyles entre nous déjà, étant donné qu’on construit la musique d’une manière différente maintenant. Les freestyles me resteront toujours en tête, mais je préfère être en studio avec mes gars et bosser des sons. Par contre, c’est toujours un plaisir d’en faire.
Le social et la politique infusent parfois dans tes textes, à l’image de cette phrase : “Y’a trop de combats que j’valide pas, j’écoute Matthieu Longatte et Waly Dia” (Plein Temps). Pourquoi choisir d’évoquer ces thématiques dans ta musique ?
Je m’intéresse très peu à la politique, je ne regarde aucun discours, aucun débat. Sur l’aspect social, je vois certaines choses qui m’agacent, mais je ne me considère pas assez calé pour avoir les solutions. Par contre, Il y a énormément de problèmes à tous les niveaux, c’est sûr, la liste est interminable.
Matthieu Longatte et Waly Dia sont des gars comme nous. Ce sont des mecs de banlieue ou de classes sociales modestes, même si cela ne doit pas être le critère fondamental. Ils me ressemblent, ont la même mentalité et la même vision des choses que moi. J’ai vu Matthieu Longatte sur scène, il y a deux ans : tu rigoles mais, au fond, tu captes qu’il raconte ce qui se passe réellement en ce moment. Peut-être qu’il vaut mieux en rire.
Est-ce important pour toi de dire ce que tu penses de la société dans tes textes ?
Je ne suis pas un rappeur politique, conscient. J’écris ce qui me passe par la tête sur une prod, et je ne me dis pas spécifiquement que je dois le faire. C’est une pensée qui me traverse l’esprit ou alors un truc que je remarque et qui me semble vraiment important. Et je te dis, je ne suis pas le plus assidu à ça parce que je ne me sens pas représenté par les personnes au pouvoir. Ceux qui pourraient me faire dire l’inverse ne seront jamais à la tête des institutions. Je préfère faire mon truc dans mon coin et me rendre utile à mon échelle. C’est mieux que de pointer du doigt des choses qui ne changeront pas.
Sur “Kelvin”, tu énonces “Dans la tête c’est Raqqa, dans le coeur, c’est Helsinki”. Est-ce difficile de mettre des mots sur tes émotions les plus intimes ? Quid de ta pudeur face au public ?
Je ne pense pas à toutes ces questions quand j’écris. Je n’ai pas envie de mettre de filtre sur ce que je dis. Parfois, il m’arrive d’enlever une phrase, seulement car je ne la trouve pas assez bien formulée. En fait, dire ces choses, c’est ma manière de me livrer. C’est aussi une question de musique puisque je n’écris jamais sans musique derrière. C’est elle qui me fait kiffer, qui m’amène à certaines émotions, lesquelles me permettent d’écrire sur tel ou tel sujet.
A plusieurs reprises dans l’EP, tu évoques de ton enfance, plutôt heureuse. A quel moment as-tu pris conscience de cette chance ?
Je ne saurai pas te dire à quel âge, mais beaucoup plus tard. Un peu avant la vingtaine peut-être. J’ai conscientisé certaines choses à ce moment-là. Aujourd’hui toujours, je repense à cette époque, avec de nouvelles réflexions. Concrètement, mes parents ont tout fait pour que leurs enfants ne manquent de rien. Ma mère s’est souvent sacrifiée pour que nous vivions bien.
Comment travailles-tu en studio avec tes beatmakers ?
Je reçois beaucoup de prods de mes gars par mails, même quand on les fait ensemble au studio. Je travaille souvent chez moi, pour gagner du temps et arriver avec de la matière. Globalement, ils font la prod à 100% et je choisis ensuite ce qui me plaît le plus. Je les laisse maîtriser cette partie-là, je sais qu’ils font un travail de qualité et je leur fais pleinement confiance. Après, chaque son est unique et a son histoire : parfois, il se construit en équipe au studio, parfois en duo, parfois seul avec mon seul avis derrière…
En ce qui me concerne, j’ai toujours écrit chez moi, dans ma chambre. Aujourd’hui, c’est peut-être plus confortable ou automatique d’écrire chez moi. J’écris aussi de plus en plus au studio, même si c’est parfois plus dur de se concentrer quand il y a du monde. J’y arrive mieux qu’avant.
Parlons de la cover, plutôt sombre et assez floue. Pourquoi ce choix pour imager le projet ?
Elle est assez sobre, c’est ce que je voulais. Je trouve qu’elle colle bien au projet, notamment sur la couleur grise qui correspond à l’ambiance de mes morceaux : le temps de Paris, mes descriptions et mes émotions.
Ma dernière question s’inspire de la phrase suivante, tirée du morceau “Plein Temps” : “Elle écoute du vieux son, j’suis presque vexé d’être dans sa playlist”. Quels artistes sont dans ta playlist ?
En ce moment, j’écoute un son un peu niché : “16 MISSED CALLS” de 2ELEVEN. C’est une reprise de Brent Faiyaz qu’un collègue m’a fait découvrir. J’ai aussi écouté, à retardement, le projet de Quavo & Takeoff. Et je pense au morceau “Amène” de Zaky, c’est super chaud ! J’ai pris ma claque !
“Rien ne change” de robdbloc est disponible sur toutes les plateformes de streaming.