Enfant, RVHIM contemplait le ciel étoilé de son pays natal d’Algérie. Depuis ce jour, il n’attend que de raviver sa propre étoile. Pour parvenir à ses fins, c’est par la musique qu’il passe. Ce n’était qu’une question de temps avant que RVHIM se consacre corps et âme à cette passion qu’il cultive depuis son plus jeune âge.
Lorsqu’il arrive à Lyon à l’âge de quatre ans, il se fait appeler « sonak » ; une expression péjorative, en référence aux foyers Sonacotra conçus à la fin des années 1950 pour accueillir les travailleurs migrants algériens. Aujourd’hui, le vent tourne pour le rappeur qui décide de se réapproprier ce terme insultant. Pour preuve, « Sonak » est le titre de son dernier EP qu’il a chaudement dévoilé à son public le 25 mars dernier. Suite de la belle histoire de ce « jeune rebeu démocratisé » dont le premier chapitre était « Oued Mina ». Une chose est sûre, RVHIM sait d’où il vient et surtout où il va.
Pour sa toute première interview, la pépite originaire du quartier lyonnais de Mermoz retrace son parcours, son amour de la cloud music et évoque les nombreux défis auxquels il a dû faire face pour faire de sa passion son métier.
P : Comment tu te sens après la sortie de « Sonak » ?
R : J’étais content qu’il sorte parce qu’il me tenait vraiment à cœur, déjà par rapport au titre. Les lyonnais sauront, un sonak c’est un blédard. La cover, elle illustre les tours de mon quartier de Mermoz à l’ancienne, avant les rénovations. J’ai eu des bons retours donc je suis fier !
P : T’as l’impression d’avoir réussi à fidéliser un certain public depuis « Oued Mina » ?
R : Franchement oui. J’ai l’impression que beaucoup de personnes pensent que j’ai commencé le rap avec « Oued Mina », alors que j’avais déjà sorti des sons avant. Mais vu que le titre « Marbaby » a bien tourné, les gens ont adhéré et ça m’a permis d’avoir un public, d’être plus visible.
P : Avant « Oued Mina » tu faisais déjà de la musique, comment l’aventure a commencé pour toi ?
R : J’ai toujours été un passionné de fou et je pense qu’au fond de moi j’attendais juste le bon moment pour me lancer dans le rap. Quand j’suis sorti de mes études, je me suis retrouvé face à moi-même et je me suis dis : c’est maintenant ou jamais. J’pouvais faire les études que je voulais mais j’allais être dégoûté si je faisais un taf qui ne me plaisait pas.
P : T’as fait quoi comme études ?
R : J’ai fait un BTS Tourisme en mode touriste ! [Rires] Après j’ai fait un DUT GEA. C’est vraiment au moment des études supérieures que j’ai eu le déclic parce qu’avant ça j’aimais trop l’école, j’étais toujours le premier de ma classe.
Je voulais me rapprocher de la capitale parce que je savais qu’à Lyon, ma musique allait avoir des limites
P : Comment ton entourage a réagi quand tu t’es lancé dans la musique ?
R : Ma mère s’est dit que j’avais perdu la tête ! Au début j’avais surtout le soutien de deux amis proches avec qui je rappais. Le reste, je sentais qu’ils me soutenaient parce qu’on était potes mais qu’ils me trouvaient pas forcément très bon [Rires]. Après j’ai pas lâché ! Au début on était un groupe, ça a pris du temps, et finalement un jour je me suis lancé en solo, en indé. J’avais pas encore signé chez Low Wood à l’époque, j’avais un blaze différent et j’étais plus en mode « love démoniaque » on va dire [Rires].
Aujourd’hui, RVHIM c’est toute ma personnalité, ma vie, mon enfance, mon vécu, ma famille, mon quartier, mon bled, tout !
P : Tu l’as vécu comment ta signature au sein du label Low Wood ?
R : Je cherchais un label pour me rapprocher de la capitale parce que je savais qu’à Lyon, la musique que je produisais allait avoir des limites tôt ou tard. Je ressentais le besoin de m’introduire chez les parisiens.
P : Pourquoi est-ce-que tu pensais que le public lyonnais n’allait pas être réceptif ?
R : Parce que dans mon entourage c’est que des gens de quartier qui écoutent du L’Allemand, du Jul etc. Moi je suis en plein cœur du 8e arrondissement de Lyon, à Mermoz, c’est là d’où viennent les Daltons aussi. Ici c’est grave ce genre de délire !
Ça n’a rien à voir avec les gens du centre-ville qui vont plutôt écouter du Tedax Max ou du Ashe 22
Je sentais que la capitale allait m’ouvrir plus de portes et qu’on allait mieux comprendre mon style musical. J’étais très content de signer et ça a clairement changé quelque chose ; les gens ont commencé à vraiment me prendre au sérieux dans ma musique. De mon côté, ça m’a permis de me professionnaliser, d’apprendre et d’avoir accès à des choses qui me donnent encore plus envie de réussir.
Quand PNL a débarqué avec “Le Monde Chico” et la cloud, ça m’a mis une tarte.
P : Effectivement, ta musique ne sonne pas du tout comme ce qui se fait à Lyon, du moins pas comme celles et ceux qui ont de la visibilité. Tu dirais que tu les as puisées où tes influences ?
R : J’ai toujours voulu faire du rap depuis gamin, je savais juste que c’était pas le bon moment. L’ère de l’old school c’était pas pour moi, la trap non plus. Et quand PNL a débarqué avec « Le Monde Chico » et la cloud, ça m’a mis une tarte. Là j’ai su que c’était le moment parce que je me suis ressenti dans ce qu’ils proposaient.
Sans trop le savoir j’attendais la bonne ère et la cloud music c’est ce qui me représentait le plus parce que je voulais pas forcément rapper, je voulais plus chantonner, faire de la mélo mais sans que ce soit trop festif non plus. Quand j’ai commencé je faisais vraiment de la cloud pure et PNL m’ont beaucoup aidé à développer mon truc, ça serait mentir de le nier !
Sinon, j’écoutais aussi beaucoup de raï à l’ancienne : Cheb Khaled, Cheb Hasni, Cheb Azzeddine…
P : Qu’est-ce-qui t’as mis une tarte chez PNL ?
R : C’était pas forcément ce qu’ils disaient dans leurs sons. C’est leur façon de poser, ce qu’ils ont apporté visuellement. Leur écriture est simple mais il y a plein d’images et je trouve ça trop fort. Mais là, j’ai tellement squatté PNL que j’arrive plus à les écouter depuis un an ! [Rires]
P : Depuis que t’as commencé la musique t’as sorti une quinzaine de titres. Parmi eux, c’est lesquels dont tu es le plus fier et pourquoi ?
R : Sur le dernier projet je dirais « Carte Jaune », c’est un son où je me suis plus livré et je suis fier d’avoir réussi à le faire parce qu’au début c’était très difficile pour moi. Mais petit à petit, je commence à me lâcher ! « Marbaby » je le kiffe aussi parce que j’ai vraiment raconté mes vacances de A à Z, et pareil c’était la première fois que je faisais un son à thème disons. Je suis content d’avoir réussi à retranscrire cette émotion liée aux vacances qu’on a vécu avec mes potes. Il y a aussi « Encore hier » que j’aime beaucoup mais qui a eu moins de retentissement, le refrain est vraiment lourd.
P : Suite à la sortie de ton dernier projet, est-ce-que tu te sens plus à l’aise dans l’écriture et plus globalement dans la conception de ta musique ?
R : Franchement ouais ! Je fais pas tout le temps de la musique parce que j’arrive pas à poser avec n’importe qui, mais je sens vraiment que je progresse à chaque session studio, à chaque séminaire. En vérité, je fais du rap que quand je suis au studio et le truc c’est que j’écris pas. Je balance une prod, je fais la topline et ensuite je place mes mots pour construire le son. Je fais vraiment ma musique au feeling et plus j’avance, plus j’arrive à trouver des thèmes précis, des bonnes toplines. Quand j’écoute « Sonak », je sens clairement une progression et ça fait plaisir !
Quand t’es lyonnais, on t’associe à la funk direct !
P : Dans ton univers on sent clairement l’identité plurielle que tu dégages ; à la fois algérien et lyonnais. Commençons par Lyon, tu penses que c’est plus difficile pour un lyonnais d’être identifié sur la scène rap ?
R : À partir du moment où quand t’es lyonnais on va t’associer à la funk, oui forcément c’est plus dur [Rires]. Je dis ça parce qu’il y a des gens qui parlent de sonorités funk lyonnaises en évoquant mes sons, alors que rien à voir. C’est à l’ancienne la funk, c’est lourd hein mais maintenant c’est mort dans le film !
Pourtant à Lyon il y a une vraie scène : des drilleurs, des délires ambiancés, c’est super varié. Il y a beaucoup de talents mais on est toujours perçu comme cette scène « lyonnaise » et on n’a pas encore vraiment ce truc d’entraide comme c’est le cas à Marseille par exemple.
Lyon je la vois grave comme une ville maudite dans le rap. J’ai l’impression il y a un démon qui ne veut pas qu’on réussisse. J’pense que pour réussir on doit faire mille fois plus que les autres et qu’on te verra toujours quand même comme un « rappeur lyonnais ».
La P : Tu trouves que ça fait qu’avec Lyon ?
R : Je trouve que ça faisait ça avec Marseille mais ils ont tellement pris de l’ampleur que ça a changé. Ils ont pas besoin de la capitale ! Lyon c’est différent, il y a direct une étiquette qu’on appose direct à la ville.
À Lyon, les gens ont trop peur du regard des autres mais les choses vont bouger, je le sais.
P : Qu’est-ce-qu’il manque à Lyon alors pour s’imposer et s’affranchir de cette étiquette ?
R : En vérité, je pense qu’à Lyon les gens n’ont pas compris qu’il n’y avait pas qu’un style de rap. Pour reprendre l’exemple de Marseille, là-bas tu peux autant écouter du Jul que du Zamdane. À Paris, il y a encore plus de variété.
P : À Lyon aussi il y a quand même une grande diversité en termes de rap, de Lyonzon à L’Allemand il y a un monde, non ?
R : Oui mais ça reste assez « sectaire ». À Lyon t’as le rap de centre-ville et le rap de quartier en gros, c’est très binaire. Les mecs de quartier vont écouter L’Allemand et ceux du centre vont écouter Lyonzon, Ashe 22… Faut vivre à Lyon pour le capter mais c’est comme ça en réalité ! Si tout le monde était vraiment soudé, cette pluralité serait une force mais clairement on en n’est pas là.
On est encore au stade où quand tu soutiens quelqu’un à Lyon, t’es vu comme un s*ceur. C’est une mentalité spéciale, les gens ont trop peur du regard des autres. Et franchement ça je l’ai vu qu’à Lyon ; à Toulouse, Marseille, Paris, les gens se soutiennent entre eux ! Un jour ça va avancer je le sais, il y a des lyonnais qui ont beaucoup de visibilité en ce moment donc il y a moyen que ça évolue vers quelque chose de plus solidaire.
De là où je viens par exemple, à Mermoz, si tu fais pas du rap de rue, c’est difficile de se faire accepter. Moi j’ai persisté parce que j’aime trop ça mais je suis sûr que plein de gens n’osent pas par peur, alors qu’on a plein de cracks ici ! C’est compliqué et je pense que c’est des questions très propres à Lyon et la mentalité lyonnaise. Il y a beaucoup de fierté mal placée…
Après personnellement, je préfère commencer depuis Lyon même si c’est plus difficile, j’préfère souffrir. J’ai envie d’être un écorché vif, quand je réussis je veux être en sang comme dans les mangas. [Rires]
Je veux que les gens soient fiers de revendiquer leur culture, d’où ils viennent.
P : L’Algérie occupe une grande place dans ta musique aussi, comme en témoigne la cover de « Oued Mina ». Quel rapport t’entretiens avec ce pays ?
R : Je suis né en Algérie, je suis arrivé en France à l’âge de 4 ans et 90% de ma famille est encore là-bas. Je suis trop fier d’être algérien et c’est surtout quand j’ai appris l’histoire de mon pays que j’ai pris conscience de cette grosse fierté. J’étais obligé de montrer ça dans ma musique, j’ai trop d’amour pour ce pays et ça fait partie de moi.
P : L’expression « Sonak » elle est très péjorative, à tel point que c’est devenu une insulte. C’est un terme qu’on entend qu’à Lyon, en référence aux foyers Sonacotra qui ont été créés pour accueillir les travailleurs migrants algériens à la fin des années 1950. Pourquoi ça te tenait à cœur de nommer ton projet ainsi ?
R : Quand je suis arrivé en France, les gens nous appelaient tout le temps « sonak ». Je détestais ce mot quand j’étais petit, c’était super dénigrant. Donc j’ai voulu appeler mon projet comme ça, c’est la preuve que j’avance dans la vie. C’est pour ça que sur la cover, il y a une sorte d’énorme panneau publicitaire avec écrit « Sonak » sur le toit du bâtiment, parce que quand on me voyait, on disait « regardez le sonak ! ».
Être un jeune rebeu démocratisé, c’est une mentale. Ça veut dire être déterminé et aller de l’avant
P : L’inverse du sonak, c’est le “jeune rebeu démocratisé” dont tu parles souvent dans tes titres ?
R : Fort ! [Rires] C’est le sonak qui a tellement souffert qu’il est devenu un jeune rebeu démocratisé. Je veux que les gens soient fiers de revendiquer leur culture, d’où ils viennent. Cette expression « JRD » elle représente l’univers où je veux aller, je veux vraiment créer quelque chose autour de ça parce que ça me représente vraiment. Attention ça n’a rien à voir avec la démocratie, c’est une mentale ! Ça représente la détermination, « mode JRD activé » ça veut dire aller de l’avant.
P : Pourquoi t’as voulu faire des cover animées sur tes deux EP ?
R : Les EP racontent chacun une partie de mon histoire et je trouvais que c’était plus simple à représenter sous forme de dessin. « Oued Mina » c’est les quatre premières années de ma vie, en Algérie. « Sonak » c’est mon arrivée en France, jusqu’à mes 12 ans. Le prochain chapitre ça sera la période du collège.
P : Ton clip « La cité » il met en image une très belle amitié entre deux enfants. Qu’est-ce-que tu as voulu raconter dans ce clip ?
R : Par rapport à mes deux projets je voulais vraiment représenter des enfants dans les clips et je tenais à ce qu’il y ait une continuité. C’est pour ça que c’est le même petit dans « La Cité » et dans « Marbaby ».
« La cité » il a été réalisé par Nono qui clippe beaucoup d’artistes lyonnais. L’histoire elle est simple, c’est deux gamins qui regardent une étoile filante, qui passent leur journée à s’amuser, à traîner dans leur cité, et qui terminent en beauté sur un ciel étoilé de rêves. C’est une manière de dire aux gosses de croire en eux, rien n’est impossible. J’ai pris des gamins de mon quartier et même eux sont trop fiers d’avoir fait ça !
Dans ce son je dis « j’ai vu mon étoile s’envoler ». C’est un peu ça l’idée, à la fin il faut essayer de remonter sur le toit pour la rattraper cette étoile.
P : Tu te souviens des rêves que tu avais toi, plus petit ?
R : Mon plus grand rêve c’était de jouer en équipe nationale de football algérienne mais ça ne s’est pas fait malheureusement [Rires] ! Sinon, je voulais avoir de l’audience, avoir une voix qui porte pour qu’on m’entende parce que je sais que j’ai des choses à dire et à faire. Je voulais qu’on me connaisse pour pouvoir mener les actions qui me tiennent le plus à cœur. Je passe par le rap pour faire ça parce que c’est ma passion mais j’ai des projets précis dans ma tête qui dépassent le rap.
J’ai accumulé tellement de lumière qu’un jour je deviendrais une étoile filante.
P : Tu peux en parler de ces projets ?
R : Il y en a un qui n’a vraiment rien à voir avec le rap mais j’aimerais trop créer une réserve animale avec des espèces en voie d’extinction. Et sinon je veux rassembler des gens qui n’ont pas les mêmes chances que tout le monde. Avec tout ce que j’ai fait, tous les gens que j’ai rencontré, j’aimerais créer des ponts entre tout ça et les plus jeunes de quartier pour qu’ils s’en sortent dans la vie. J’ai envie de les aider. C’est pour ça aussi que je fais appel à des petits de mon quartier pour mes clips, j’aurais adoré moi plus jeune faire ça ! Je veux qu’ils croient en leurs rêves, qu’ils soient fiers d’eux. Personne ne peut t’empêcher de réaliser ton rêve, seul Dieu peut te stopper.
P : Et la malédiction dans tout ça ?
R : Il faut bien la combattre la malédiction ! On se laisse jamais abattre, le but c’est que les choses changent. Je suis réaliste mais pas défaitiste. Je sais que ça va prendre du temps, qu’on va passer par plein de choses, parfois difficiles. Mais je reste confiant. Au fond de moi je sais qu’un jour l’étoile qui s’est éteinte elle se transformera en étoile filante. Là je suis encore une étoile éteinte, mais j’ai tellement accumulé de lumière que je deviendrais une étoile filante.
P : Qu’est-ce-qu’on peut te souhaiter pour la suite ?
R : Continuer à balancer des gros sons pour raconter mon histoire. J’ai envie que ma musique soit écoutée par beaucoup de gens, qu’on me comprenne et que je puisse ensuite donner encore plus. Je pense que c’est ça qui va m’aider à évoluer. Si j’ai un public exigeant qui me met la pression, ça va forcément me motiver à sortir des trucs de ouf. C’est ça mon moteur !
“SONAK” le dernier EP de RVHIM est disponible sur toutes les plateformes de streaming :
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