SOUFFRANCE
Crédits : @k8vails

SOUFFRANCE SE RÉINVENTE AVEC TOUR DE MAGIE

Un an après l’excellent accueil reçu pour Tranche de vie, Souffrance reprend du service avec Tour de magie, son second album. Presque une vingtaine d’années de musique derrière lui, et pourtant, l’artiste originaire de Montreuil revient avec une proposition artistique différente après avoir mis un nouvel accent sur son univers. Depuis le 16 octobre dernier, Souffrance est parvenu à créer la surprise. Pour La Pépite, il détaille la conception du projet, son état d’esprit et surtout l’art qu’il entretient.

La Pépite : Pour annoncer la sortie de ton projet, tu as écrit sur tes réseaux : « Tour de magie, parce qu’on n’avait pas prévu d’être là, maintenant il faut rebondir… parce que les objectifs ont changé, parce qu’il faut se réinventer, parce qu’il faut garder l’essence première, parce qu’il faut tout niquer. » Quelle nouvelle direction ont pris tes objectifs ?

Souffrance : Le second album, c’est toujours un exercice difficile pour le rappeur. Il y en a même qui ne l’ont jamais sorti. Moi, il y avait un objectif de temps, je voulais revenir vite. Aujourd’hui, le rap c’est une course. Je ne voulais pas refaire la même chose, je trouvais pas ça intéressant. Je voulais apporter un projet en lui-même, comme ces séries qui changent à chaque nouvelle saison ou comme Black Mirror. Mais c’était important de préserver l’âme, c’est-à-dire de garder l’écriture, qu’elle soit hardcore, dérangeante, mais aussi douce et bienveillante.

P : Comment on fait pour se réinventer en gardant l’essence première ?

S : Je pense que ça se fait sur le choix des instrus. Il y en a que je pouvais kiffer à l’époque de Tranche de vie où je me refusais de poser dessus, peut-être parce que je ne les voyais pas dans ce projet. Pour ce nouvel album, je me suis dit qu’il me fallait sur des instrus un peu plus spéciales, où on n’a pas l’habitude de me voir, mais qui sont parfois un peu plus ouvertes. Ensuite, le travail, c’est de trouver comment adapter Souffrance à cette instru. Mais c’est pas non-plus un truc qui se force.

Dans l’entité Souffrance, il y a TonyToxic à l’intérieur.

Souffrance

P : TonyToxic t’a de nouveau accompagné pour ce nouvel album ?

S : Ouais. Tu sais, quand on dit Souffrance, on voit que moi, mais dans l’entité Souffrance, il y a TonyToxic à l’intérieur. Il fait partie de Tranche de vie, de Tour de magie, et il fera partie du prochain album aussi. C’est le mec qui porte l’Uzine depuis 15 ans. Il fait tout ce qu’il y a à côté. En réalité, c’est lui qui nous a porté jusqu’ici, c’est lui qui avait toujours la foi et la force.

Sur cet album, il a fait la réalisation. Il est ultra présent au niveau du beatmaking et de la direction artistique. On l’a fait à deux. C’est simple : un morceau, il faut qu’on le valide tous les deux. Généralement, on est raccord. Après, pour la direction de l’album, je lui ai exprimé ma vision, et il me dit « ok, on va là-dessus ». On fait ça ensemble et on intègre aussi Cenza qui va avoir un œil sur les clips et Vakeso qui va beaucoup écouter les morceaux. On bosse toujours ensemble.

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Crédits : @k8vails

P : Avec Tranche de vie, tu performes seul tout au long du projet. Avec Tour de magie, on te retrouve aux côtés de Prince Waly, Cenza, Spectacular et Limsa d’Aulnay. Qu’est-ce qui a changé entre ces deux projets pour que tu aies des invités ? Pourquoi maintenant et pas avant en sachant que tu étais déjà en relation avec certains d’entre eux ?

S : Comme il y a des mecs qui me connaissent depuis 2007 et que j’ai sorti très peu de titres jusqu’à 2021, je leur devais uniquement du Souffrance. Mais c’était aussi pour moi-même, je voulais arriver seul. Pour ce nouvel album, je voulais m’ouvrir et faire des featurings. Par contre, j’ai voulu faire des collaborations naturelles, donc j’ai d’abord bossé avec Cenza, qui est dans mon groupe, et Prince Wally, que j’connais depuis plus de 20 piges. Il est de Montreuil, j’ai traîné avec son grand frère, et rien que par rapport à l’épreuve qu’il a vécu, Wally pour moi il est devenu légendaire ce type. Donc ça m’a fait grave plaisir de faire un son avec lui et j’pense que y aura encore pleins de collaborations en commun. J’espère et j’touche du bois, si Dieu le veut.

Concernant Limsa d’Aulnay, on a été mis en contact et c’est passé direct. Avec Spectacular, on a contacté sa manageuse et on s’est arrangé à distance comme il est en Jamaïque. Tu sais, avec les feats, il y a ce truc de se dire qu’on demande des feats que quand on arrive à leur niveau, comme ça on n’est pas trop dans un truc de « s’il te plait, biens faire un feat avec moi ». La demande de feat, c’est quelque chose de pas évident pour moi, tu sais pas s’il va refuser ou pas et je veux vraiment des collab’ naturelles.

Pour moi, le clip, c’est le meilleur outil de communication.

Souffrance

P : Tu ouvres l’album avec le titre J’ouvre le feu. Dès les premières lignes, tu écris : « Je reçois un message de Tony, Souffrance il faut que tu fasses un clip, faut que tu tapes des feats. Je sais, mais en ce moment j’expérimente des tas de techniques ». Aujourd’hui, avec la surconsommation et surproduction musicale, c’est important de rester actif le plus possible. Est-ce que tu arrives à entretenir la flamme avec ton public, à rester actif, tout en t’isolant pour faire évoluer ta musique ? T’arrives à trouver un juste milieu là-dedans ?

S : Ouais, je pense pas avoir besoin d’être constamment en contact avec lui. Ce qui est dur, c’est d’allier les périodes de création avec les périodes de scènes. Aujourd’hui, je suis dans une discipline où j’écris tous les jours, même si j’écris que quatre mesures ou un texte complet d’un coup. Mon public, c’est ce qu’il attend de moi. Il attend que je lui ressorte un album et il attend de pouvoir kiffer de nouveau. Donc j’entretiens la flamme avec lui en m’isolant et en créant.

P : Tu as sorti quatre clips pour annoncer la sortie de l’album, c’est quand même énorme ! Qu’est-ce qui explique une telle implication ?

S : Je suis signé chez Pias en distribution, donc je reste indépendant. Et pour moi, le clip, c’est le meilleur outil de communication. Pour un gars qui n’a pas forcément une force de frappe de ouf, etc, tu peux faire la différence sur un clip, puis ça reste de l’art. J’adore la vidéo. Un morceau, j’ai l’impression qu’il n’est pas entièrement fini sans l’imagerie qui va avec. Si je pouvais, je cliperai tous les titres pour que le mec qui écoute comprenne tout.

J’aime bien le rap qui te créé des choses dans ton cerveau et qui te fait partir. Après, les images que tu créées peuvent très bien ne rien à voir avec ce que je pensais moi, mais c’est ça la musique. Une fois que t’as sorti un truc, il t’appartient plus et chacun le réinterprète.

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P : Dans ce projet, on retrouve aussi le titre Kill Them, que tu qualifies toi-même comme étant le son « ovni » du projet. Tu t’attends même à ce qu’il soit censuré ou que sa portée soit diminuée à cause des paroles et du clip. C’est vrai que quand on l’écoute, c’est un beau bordel.

Ton esprit semble aller dans tous les sens et te laisser peu de repos. Est-ce que tu cherches quelque chose, comme des vérités ou des réponses sur toi-même avec le processus de création musicale ?

S : Je pense pas. Je sais pas si je cherche des réponses ou des vérités, mais ce qui est sûr, c’est que quand j’écoute juste l’instrumentale de la musique, elle me procure des émotions et j’ai envie de balancer un message par rapport à ça. En réalité, le morceau est ultra hardcore. Il y a plusieurs grilles de lectures sur ce morceau.

Il y a d’abord celle avec sous forme de story-telling avec un mec au RSA qui mate pas mal de vidéos, qui se convertit à l’islam mais qui continue de manger au KFC, et qui finit par péter un plomb. Il peut aussi y avoir une lecture autobiographique, si on imagine que Tranche de vie n’aurait pas marché comme je l’aurais voulu…

Et il y a une autre grille de lecture où tu peux te dire que c’est un peu le peuple face à l’élite, comme quand je dis « face à cette bande de serpents qui nous humanisera ». Je pense au Covid par exemple, quand les gouvernements nous disaient de rester chez nous et qu’il y a des mecs qui ont été vus en pleine teuf, comme des Boris Johnson en Angleterre. Alors qu’il y a des gens qui sont morts seuls pour respecter les règles qui ont été mises en place par des gens qui n’ont juste pas la morale qu’ils nous demandent d’avoir.

P : Justement, avec un esprit qui fuse aussi vite, je me demande si cela ne rend pas parfois l’écriture plus compliqué ? C’est parfois plus difficile de s’exprimer et de trouver les mots quand le flot de pensées est trop important.

S : Ça a été un travail hein. Depuis Tranche de vie, j’écris tous les jours, que ce soit un quatre mesures ou un texte complet d’un coup. Dans mon premier album, je pense que je mettais parfois trop de mots, je sortais des règles du rap et il y avait peut-être un mot qui n’était pas dans les temps… Aujourd’hui, avec le travail, j’ai réussi à concentrer ce truc-là et à rester dans le cadre.

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P : Dans tes textes, il t’arrive de faire référence à l’hiver et à l’automne. D’une certaine manière, ces deux saisons représentent ton art. Deux saisons froides où les feuilles des arbres tombent, le ciel est gris, il fait froid… Qu’est-ce qui fait que ce soit cette période de l’année ou tu te sens le plus à l’aise ? Qu’est-ce qui t’inspire là-dedans ?

S : À la base, je suis un mec introverti. Quand j’étais petit, j’étais ultra timide. Quand j’avais 9 ans et qu’on me disait d’aller à la boulangerie, j’étais en pression (rires). Le rap, c’est un truc qui m’a aidé là-dessus. L’été, c’est une période où on montre tout. Tu sors, t’es en t-shirt. C’est une période où les esprits s’échauffent aussi.

J’ai l’impression que l’automne et l’hiver sont des périodes plus introspectives et poétiques que l’été. Après, le printemps, ça a aussi sa poésie. Et dans le rap d’aujourd’hui, pour moi, on est davantage dans l’été. C’est aussi pour me mettre en différence par rapport à ça.

Avec moi, encore une fois, c’est la musique qui parle. J’espère toujours créer l’émotion et la surprise, créer quelque chose qui fait que tu vas en parler.

Souffrance

P : Dans ton album, tu dis parfois que t’as la tête ailleurs, comme ci t’étais un peu dans ta bulle et que le rap et l’écriture te raccrochait un peu à la réalité.

S : Quand j’étais petit, ma façon de répondre à une vie très difficile a été de me créer un imaginaire et de me renfermer sur moi-même. Le mot que j’utilisais le plus quand j’étais un enfant c’était « imagine ». Cet imaginaire travaille encore aujourd’hui, et d’ailleurs, pour moi, c’est important de préserver sa partie enfant.

P : Dans ta proposition artistique, on sent bien que tu cherches à créer l’originalité et à cultiver ta différence, à l’heure où beaucoup d’artistes cherchent à ressembler à ce qui se fait actuellement pour être accepté. Est-ce que ça a toujours dans ta ligne de conduite artistique ou c’est venu plus récemment ?

S : Avant, je faisais du boombap. Donc je rentrais dans des codes. Dans Tranche de vie, j’ai essayé d’être original même dans le boom bap. Dans Tour de magie, c’est de ça que j’avais peur. Se réinventer, mais en réalité ne pas se réinventer jusqu’aux pieds. C’est ça qui a été difficile, et c’est quelque chose que je dois justement entretenir. C’est une vraie recherche. Si on considère qu’on est dans un marché et que mon rap est un produit comme les autres, il va falloir que je me démarque.

Avec moi, encore une fois, c’est la musique qui parle… J’espère toujours créer l’émotion et la surprise, créer quelque chose qui fait que tu vas en parler. Après, je fais de la musique pour kiffer aussi, je suis pas dans le calcul en me disant que je vais écrire ceci pour cela. En tout cas, j’espère garder un truc où tu te dis « ça, c’est Souffrance ».

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P : Est-ce que tu as toujours eu confiance en ton art ?

S : J’ai pas toujours eu confiance en moi mais j’ai toujours eu confiance en mon art. Depuis que j’ai 15 ans, je suis persuadé que je peux tout éclater.

P : Et est-ce que, aujourd’hui, ça t’a permis d’avoir plus confiance en toi ?

S : Aujourd’hui, ma confiance en moi elle a augmenté par rapport à pas mal de choses, des expériences de vies. La musique aussi, ça y a contribué. Quand t’es fort en rien, et que tout d’un coup t’as un endroit où t’es fort, forcément ça t’aide aussi.

P : Tu es dans le milieu depuis de très nombreuses années. Avec le titre Hall 26, tu passes du hall 26 au Hall 26, label indépendant… Pour la sortie de ce morceau, tu disais : « Quand on tourne en rond, le chemin paraît long, on se retourne et on voit encore les mêmes images, on entend les mêmes sons ». Tu veux dire par là que tu avais la sensation de tourner en rond il y a encore quelques années ?

S : Ouais. Cette sensation de tourner en rond, je pense que tout le monde l’a un moment donné, peu importe où tu vis. Faire toujours les mêmes choses, être dans un cercle qui est toujours le même… Je l’ai ressenti à plusieurs périodes de ma vie, même si j’ai eu plusieurs vies. À chaque fois, tu finis par tomber dans un cercle d’habitude où tu tournes en rond. Et là, au sujet de la musique, c’était par rapport au fait d’écrire mais qu’il ne se passe rien derrière. J’écrivais beaucoup mais je ne sortais même pas les titres, etc.

Dans ma tête, j’voulais décevoir les gens le plus vite possible.

Souffrance

P : L’année dernière, lorsque ton dernier projet était sorti et que tu préparais déjà le suivant, tu disais aux médias que tu avais envie de créer la surprise et de surprendre l’auditeur. Penses-tu que l’objectif sera atteint avec ce nouveau projet ? Le tour de magie a fonctionné ?

S : Il y a un truc que je ne disais pas. Dans ma tête aussi, j’voulais décevoir les gens le plus vite possible. Le deuxième album, t’es souvent déçu. Par exemple Temps Mort m’avait giflé et j’ai lâché sur Panthéon. Le deuxième album, c’est un exercice compliqué, j’me suis dit : « autant décevoir les gens le plus vite possible, tu seras au fond et tu pourras que remonter après pour le travail ». Créer la surprise, ça peut être du bon ou du mauvais côté.

Quand tu tentes des choses, tu peux pas savoir comment ça sera exactement… Ceux qui font ça, ce sont des artistes que je respecte énormément. Des mecs comme Kendrick Lamar par exemple où chaque album il est différent. Tu peux pas l’attendre ! Et c’est ce que j’ai essayé de faire avec Tour de magie. Et cet effet de surprise, ça fait partie de ma D.A.

Tour de magie de Souffrance est disponible sur toutes les plateformes de streaming.

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