“Les Masques” de Joysad :  la puissance de la fragilité

Nouveau titre de Joysad, nouvelle claque. À l’occasion de la sortie de son dernier album, Transparent, l’étoile montante du rap a sorti ce vendredi 21 octobre le clip illustrant Les Masques, un des titres fort de ce dernier projet. Et, sans surprise, le rappeur d’à peine 22  ans a de nouveau réalisé une performance puissante.

Avec Transparent, Joysad en est déjà à son troisième album depuis 2021, après Palindrome et Espace Temps, sans compter la réédition de ce dernier. Si sa recette n’a pas beaucoup changé, c’est qu’elle vient du coeur et qu’elle fonctionne. Récits de l’intime, émotions à vif et partage de ses doutes, Joysad écrit son quotidien avec un naturel qui prend aux tripes. Et le titre Les masques, ainsi que le clip qui l’accompagne, illustrent une nouvelle fois la puissance musicale et narrative du jeune artiste.

De fait, le clip réalisé par Zéphir & 5:AM prend place dans une scénographie pensée à l’image des émotions que le titre véhicule : dans un décor sombre, à la fois intime et réaliste, le chaos règne. Les premières voix que l’on peut discerner sont des cris, poussés par une jeune femme (Salomé Benitha) qui incarne la petite-amie du rappeur. Si ses supplications peuvent dans un premier temps nous faire ressentir de l’empathie pour cette femme en larmes et en pleine crise de nerfs, on comprend assez vite qu’elle n’est pas la victime principale de la dispute qui a l’air d’avoir lieu. 

Tu m’avais frappé la veille, tu m’fais l’amour le lendemain

En effet, très vite, Joysad se confie en fredonnant : « Tu m’avais frappé la veille, tu m’fais l’amour le lendemain ». Il paraît alors assez évident que l’auteur de Oh ma belle raconte en fait une scène de violence conjugale dont il est la cible – souvent suivies par ce que les spécialistes appellent des  “lunes de miel”, lors desquelles l’auteur des violences couvre sa victime d’amour pour tenter de lui faire oublier ses fautes. Les paroles de la chanson ne laissent pas de doutes, et la force de la mélodie et du timbre viscéral de Joy nous transportent au coeur d’une relation toxique et violente dont il est la proie. Un thème récurrent dans ses titres, notamment dans Néant, qui faisait déjà référence à une relation malsaine dont il semblait s’être extirpé. 

Pour une fois c’est l’inverse, c’est le rappeur qui s’fait taper dessus

Dans Les Masques, c’est sans retenue que le rappeur dévoile ainsi ce qui paraît être un lourd trauma : bloqué dans un couple nocif, il est retenu par un amour profond pour celle qui le blesse à répétitions. Et les mots sont dits aussi sincèrement que cruement : « Pour une fois c’est l’inverse, c’est le rappeur qui s’fait taper dessus ». Une mise à nu bouleversante alors que l’aveu de faiblesse reste encore tabou chez les hommes, et d’autant plus dans le rap. Et on ne peut qu’applaudir : la parole participe sans doute à apaiser les plaies de Joysad, mais plus que ça, elle en fait sa force. Elle témoigne de la puissance de la fragilité, mise en scène avec brio, et qui ne peut qu’émouvoir les auditeurs.

On s’aimait un peu trop fort, il faut qu’tu t’éloignes de moi

Mais au-delà des paroles qui sont assez univoques (et qui présentent la jeune femme comme simple persécutrice), la mise en scène du clip et l’impressionnant jeu d’acteur de Joysad nous plongent dans la folie partagée d’une relation toxique : deux personnes qui s’aiment autant qu’elles se détestent, dans un couple où la violence se mélange à la passion (comme quand le rappeur attrape les cheveux de sa compagne). Le thème de la folie imprègne la dernière scène où la caméra tourne autour des deux protagonistes, qui tirent l’un sur l’autre avec un pistolet.

J’nous préférais avant, t’sais quand on n’avait pas les masques

Entre rires de détresse et larmes d’amour, les deux amants semblent poussés à bout au point qu’ils préfèrent mourir ou tuer l’autre que de continuer dans leur spirale infernale. Alors que la caméra tournoie de plus en plus vite autour des protagonistes, illustrant cette spirale, on voit tour à tour Joysad et sa petite-amie jouer à la roulette russe l’un sur l’autre, et l’alternance des visages nous fait perdre de vue qui est la victime et qui est le persécuteur, à l’image de la confusion d’une personne sous emprise. Le hasard semble être la seule force dominante, alors que les émotions des personnages sont tellement fortes que l’on tombe dans l’absurde.

Alors c’est comme ça qu’ça finit, parce que t’es un démon sous pillave

Ce huis-clos oppressant et profondément touchant, réalisé en plan-séquence sur un format resserré (des choix artistiques qui appuient l’impression d’enfermement et de suffocation) fonctionne particulièrement bien grâce au texte à fleur de peau de Joysad, qui semble panser une blessure en racontant des souvenirs qui l’ont durablement abîmé. Une réalité dans laquelle de nombreuses personnes pourraient s’identifier, car elle cristallise les grandes lignes des relations toxiques : un manque de reconnaissance, une insécurité perpétuelle, une solitude profonde et deux personnes qui s’aiment mais qui se font du mal. Et, dès lors, la signification du boulier qui ouvre le clip semble évidente : deux forces qui s’entrechoquent, alors que le temps semble compté… jusqu’à ce que le couple arrive à l’apogée de sa souffrance et se sépare de la manière la plus violente qui soit : par la mort du chanteur, symbolisant l’indescriptible détresse dans laquelle celle-ci l’a plongé.

On ne peut qu’applaudir ce coup de force de Joysad : ses émotions débordent dans des textes sincères, simples et pourtant puissants, bercés par une instru douce-amère et des mélodies percutantes par leur force mélancolique.