Younsss, diamant brut au coeur d’or

Younsss est la preuve que tout peut aller très vite dans la musique. D’un freestyle posté à l’aveugle sur les réseaux sociaux, il a rapidement gravi les échelons et vient tout juste de remplir la Boule Noire. Le jeune artiste, dont les morceaux oscillent entre rap et variété française, a récemment sorti “Diamant Brut”. Un EP aux airs de certificat d’authenticité tant il dévoile toute la palette artistique de Younsss

Nous l’avons rencontré deux jours après sa date parisienne. Sincère et très ouvert, il revient, entre autres, sur son parcours, son amour pour sa communauté et sa manière de concevoir un disque.

Il y a deux jours, tu étais en concert à La Boule Noire. Comment le show s’est-il passé ?

C’était incroyable, c’est vraiment pour vivre ça que je fais de la musique depuis le début. Chanter les chansons que tu as écrites dans ton coin, et voir les gens les reprendre avec toi, ça fait quelque chose. C’était la première fois que le public venait uniquement pour moi, mais je n’ai pas spécialement ressenti de stress. Quand tu performes devant un public conquis, tu fais ce que t’aimes devant les gens qui te donnent de la force. C’est le pied ! 

Pour revenir sur les prémices de ta carrière, à quel âge as-tu commencé la musique ? 

J’ai écrit mes premiers textes vers 15 ans, mais j’ai mis trois ans avant de poster sur les réseaux sociaux. Plus jeune, comme tous les enfants qui rêvent de ça, je faisais des spectacles à mes parents. J’ai des vidéos de moi, avec un plâtre, en train de danser sur Michael Jackson. Par contre, je n’ai jamais été initié à la musique ; pas de conservatoire, ni de solfège. De manière assez naturelle, je ne pourrais pas l’expliquer, j’ai eu l’impression que ma voix était mon instrument. 

Qu’écoutait-on chez tes parents quand tu étais plus jeune ? 

J’ai des souvenirs de trajets en voiture avec ma mère, pendant lesquels elle écoutait de la variété française, type Joe Dassin. C’est par mon père que j’ai entendu mes premiers morceaux de rap, avec 50Cent par exemple. Et ensuite, j’ai vraiment été initié au rap par mon grand frère, qui m’a fait découvrir des artistes comme Guizmo. Un jour, Georgio faisait un concert Place de la République. J’en suis ressorti galvanisé, et c’est à ce moment que j’ai commencé à écrire mes textes. 

A l’âge de 18 ans, tu commences à publier des freestyles sur les réseaux sociaux. Quel accueil ont-ils eu au fil du temps ? 

Tout a été très rapide. J’ai posté mon premier freestyle en février 2019, mais j’écrivais beaucoup de textes depuis 2018. Un jour, un pote me filme dans sa chambre et, plus le temps passe, plus on se dit que la vidéo est bien et qu’on devrait la poster. On la poste le 19 février 2019 et le lendemain, je recevais déjà des covers du morceau. La vidéo commençait à prendre des milliers de vues, ce qui nous a motivés à réitérer de manière plus travaillée. Au total, j’ai fait dix-huit freestyles, un chaque mardi, et j’ai très vite gagné 30 000 abonnés sur Instagram. C’est le début de cette folle aventure ! 

En 2020, tu as sorti tes deux premiers projets, les EP “Sad” et “Souvenirs”. Quel regard portes-tu dessus aujourd’hui, près de deux ans après leur sortie ? 

Pour moi, ils ne sont pas assez travaillés. Aujourd’hui, je travaille avec de nouvelles méthodes et j’ai l’impression de m’être beaucoup amélioré. Je me revois écrire tous les textes, plein d’envie et de fougue. Je les kiffe, ça fait partie de moi et de mon patrimoine, ça restera à vie. La musique permet de graver des moments que tu peux ensuite voir évoluer avec le temps : tu ne regardes plus tes chansons pareil deux ans après. C’est incroyable de voir ça comme ça. 

En 2020, tu as également dévoilé “Abysses”, ton titre le plus populaire encore aujourd’hui. Comment expliques-tu son succès et sa popularité auprès des fans ? 

Ce morceau a été poussé par ma communauté lors du confinement. Je faisais des lives avec un concept assez particulier : à chaque fin de session, je demandais huit mots aux abonnés afin d’écrire le freestyle du lendemain. Les gens ont donc participé au processus de création du titre, ce qui a fait naître un attachement particulier. Petit à petit, il est arrivé aux oreilles des plateformes et de personnalités influentes, comme Agathe Auproux ou Layvin Kurzawa. Tous ces relais successifs ont eu l’effet d’une boule de neige, pendant lequel le public s’est attaché au titre. J’ai l’impression qu’il vit et justement, il faisait moins d’écoutes à sa sortie qu’aujourd’hui, deux ans après. 

Tu as été la première signature du label “Timeline”, en 2021. Pourquoi avoir fait ce choix ? 

La démarche était très artistique à la base. Grâce à eux, j’ai rencontré Nostra (NDLR : compositeur signé au sein du label), qui est présent sur la moitié des titres du projet. Humainement, tout s’est très bien passé entre nous deux. Ensuite, comme la vie d’un artiste est régie par ses émotions, j’ai vite compris qu’il me fallait un soutien musical et personnel. Le but est de construire une vraie œuvre tous ensemble, c’est grâce à cet objectif commun qu’on ne dévie pas de notre cap. On voit qu’il y a toujours de bons retours quand on me fait découvrir à un panel de nouvelles personnes. 

Peux-tu me parler de ton format de freestyles devant les plus belles portes de Paris ? 

Je demandais aux abonnés de m’envoyer cinq mots qu’ils trouvaient cools. J’ai ainsi pu découvrir des mots et élargir mon vocabulaire. Et moi, je suis le genre de mec qui prête attention à l’architecture, et notamment celle des portes de Paris. La porte étant un fond uni, ça me permettait aussi d’inscrire les mots au montage. Grâce à ce concept, j’ai pris 100 000 abonnés sur TikTok et l’engouement était tel que j’ai sorti d’un EP réunissant les meilleurs freestyles. Dès le début, ces gens m’ont donné une telle force que j’ai été touché par leur soutien. Ce format était un remerciement à leur égard, et en plus, je trouve que ça stimule vraiment la créativité.

Pour entrer dans l’EP “Diamant Brut”, qu’est-ce que ce tout nouveau projet représente pour toi ? 

Il représente une partie de ma vie car, quand on fait de la musique, on ancre les morceaux dans le temps. A l’instant où ils sortent, on s’oblige à ne plus jamais y toucher. C’est une satisfaction personnelle au moment où l’EP se trouve entre les mains du public. Les chansons parlent d’instants que j’ai vécus et mis en chanson, c’est comme une petite thérapie. Le titre du projet, “Diamant Brut”, pourrait sonner comme égotrip, certes. En réalité, il reflète surtout ma pensée selon laquelle on a tous une petite chose au fond de nous que l’on peut aiguiser et faire briller aux yeux des autres. 

J’explique tout ça aujourd’hui mais, au moment de faire les sons, je n’y avais pas du tout réfléchi. C’est l’histoire de ma vie, à savoir mettre des mots et des émotions ensemble pour ensuite en comprendre le sens. Combien de fois ai-je écrit un texte avant d’en trouver le sens, la métaphore ? En tant qu’artiste, ton inconscient joue avec toi : une prod pourra t’inspirer à écrire sans pour autant savoir pourquoi ça sort à cet instant précis. Si tu fais les choses correctement, tu auras ces phases de créativité que tu pourras répéter. C’est travailler quelque chose qui n’existe pas, et c’est beau en vrai. 

Dans “Diamant Brut”, morceau d’ouverture de l’EP, tu formules le souhait de “rattraper le temps passé”. Considères-tu avoir perdu beaucoup de temps dans ta vie ?

Il y a certaines choses que je peux regretter, même si elles font partie de ma vie aujourd’hui. En avoir voulu à certains proches à un âge où j’étais davantage guidé par mes émotions que par ma raison. Par exemple, j’aurais dû comprendre que la jeunesse d’un père ne se revit pas deux fois. Quand on commence à le sentir vieillir, c’est à ce moment-là qu’on se rend compte de certaines choses. 

Tu parles beaucoup de travail et d’abnégation. Pour toi, quelles formes prennent-ils ?

Pour moi, c’est un travail presque spirituel, celui de se développer tous les jours pour devenir la meilleure personne possible. Je veux simplement faire le maximum, et hisser les gens au même degré d’exigence que moi. Je pense qu’on prend confiance comme ça, car elle se perd quand tu ne travailles pas assez. Tu es confiant à partir du moment où tu penses avoir bien fait les choses.

“Avec du travail, on a su se démarquer.”

J’rêve

Dans cet EP, les relations amoureuses prennent aussi une part importante des sujets évoqués. Pourquoi choisir de traiter davantage cette thématique ? 

Ce choix est assez inconscient, mais en creusant, il vient certainement de mon goût pour la variété française. L’amour y revient toujours, et j’ai tellement baigné dedans que ça infuse dans ma musique. Plus tard, lorsque j’ai découvert le rap et l’écriture, les deux se sont liés. Peut-être d’ailleurs que les gens ont aimé ce renouveau, ce thème peu abordé il y a encore quelques années dans le rap. 

Y a-t-il des sujets que tu aimerais aborder dans tes textes à l’avenir ? 

Je n’ai pas assez raconté d’histoires. Le rap est une musique qui se prête bien à ce genre de récit. Beaucoup de morceaux racontent des histoires : un mec qui quitte son pays pour arriver ici, un autre qui tue sa femme et ses enfants car il n’arrive pas à trouver le bonheur, etc. Bigflo & Oli avaient fait un morceau de ce type et c’était poignant (NDLR : “Monsieur Tout Le Monde”, sorti en 2015). C’est un exercice prenant, avec une vraie dimension personnelle. 

Titane” fait figure d’OVNI dans l’EP, avec davantage de hargne et de transparence. Quelles émotions te traversaient lorsque tu l’as écrit ?  

C’est vrai qu’il peut être déroutant pour les gens qui m’écoutent depuis longtemps. On enchaînait pas mal de sessions studio à cette époque, et j’avais l’impression de devoir cadrer mon inspiration à un certain timing. Je me sentais obligé d’être performant lors de ces créneaux. Ce jour-là, rien ne venait et j’ai décidé d’écrire des phrases aléatoirement, sans aucune prod. Je les ai assemblés en essayant des placements sur lesquels je ne vais habituellement pas. Ma tête a commencé à bouger, et voilà ! 

Dessus, on t’entend dire “peur d’être un produit, peur de devenir qu’une ombre”. Est-ce un sentiment que tu as déjà ressenti vis-à-vis de l’industrie musicale ? 

Quand tu as 18-19 ans, tu es assez facilement influençable. Certaines personnes te prennent par les sentiments, en te cachant certaines choses. Aujourd’hui [chez Timeline], je me sens bien dans tous les domaines, aussi bien dans la création que dans les aspects plus personnels. On n’a pas de tabou. C’est beaucoup plus simple d’avancer quand tu es entouré par ce genre de personnes. 

Tu t’interroges aussi sur la définition de l’artiste. As-tu trouvé des éléments de réponse ?

Être artiste, c’est d’abord cultiver une sensibilité, peu importe le style de musique. Par exemple, un mec qui fait de la trap est sensible à quelque chose lui permettant de développer son truc. Quand on parle de sensibilité, on pense d’abord à l’amour, alors qu’elle apparaît dans tous les domaines. L’image de “l’éponge à la mer” vient pour caractériser une absorption continue. Récemment, j’ai regardé un documentaire sur un chemin de fer délabré au Congo : les habitants gardaient le sourire malgré les conditions de vie et l’obligation de faire de très longs trajets à pied. Être artiste, c’est absorber toutes ces émotions que tu vois et essayer de les retranscrire au mieux. 

“C’est quoi être un artiste ? Être une éponge à la mer ?

Titane

Sans repères” est en collaboration avec Clara Charlotte. Était-ce naturel de l’inviter ? 

A l’époque, j’avais posté le freestyle “Symphonie” sur Twitter. Il avait bien tourné, et quelqu’un avait mentionné Clara Charlotte en proposant une collaboration entre nous deux. Elle m’avait répondu, mais le COVID-19 est passé par là et c’est finalement tombé à l’eau. En janvier dernier, on s’est vu à la première Crimson Session (NDLR : évènement live mensuel dédié à la nouvelle scène rap et R’n’B, au Goku Comedy Club), et toute mon équipe était choquée par son niveau. 

En studio, c’était comme si on était devenu potes super vite. J’ai vu qu’elle comprenait les problématiques de ma vie, et inversement. La session était légendaire, et tous ces moments humains donnent au morceau une dimension encore plus forte. Je l’ai gardé pour ça aussi ! Il nous touchera dans dix ans quand on l’écoutera, et on se rappellera de plein de choses. 

Est-ce une toute autre manière de travailler lorsqu’on est à deux au studio ? 

Elle [Clara Charlotte] a sa propre manière de travailler, elle dirige les choses. Moi j’ai kiffé, j’avais les paroles qui venaient immédiatement. La prod a été trouvée très rapidement, avec des idées qui fusaient de partout. Personnellement, je ne suis pas le plus directif au studio, je préfère laisser le beatmaker et l’autre artiste faire leurs choix. Travailler en groupe pousse aussi les uns et les autres à se donner à fond. On l’a bien vu avec 1995 et la Sexion d’Assaut, par exemple : ils ont tous dit que la créativité était bien plus importante et naturelle en groupe qu’en solo. 

Avec qui aimerais-tu collaborer à l’avenir ? Et, quel serait ton featuring de rêve ? 

Avec Josman déjà, car il m’a beaucoup inspiré. Ensuite, je dirai un groupe sénégalais que j’écoute depuis mes huit ans : Orchestra Baobab, pas très connu mais ils continuent à tourner en Europe. Ils ont une musicalité que j’ai envie d’explorer. Et pour donner des feats inaccessibles, j’aurais aimé collaborer avec Mac Miller, Michael Jackson, Charles Aznavour, ou même XXXTentacion

Sur le dernier morceau du projet, “Cette fille”, tu annonces avoir “[des] choses à faire, l’avenir à prendre”. As-tu envisagé les prochains mois, les prochaines années ? 

Je veux tout péter en tant qu’artiste, et plus particulièrement, remplir l’Accor Hôtel Arena. Je suis tellement passé devant étant petit que j’ai envie de voir mon nom là-bas. Et si on veut voir plus loin, j’ai récemment accepté d’écrire pour une jeune artiste. J’adore aider les autres dans leur processus créatif, et je me vois bien dénicher de nouveaux talents et les faire grandir à l’aide de mon vécu. 

De quelle manière s’est construite la tracklist du projet ?

C’était dur parce que je suis quelqu’un de compliqué. Je peux adorer un titre et, deux mois après, ne plus l’apprécier autant. C’est pour ça que c’est beau aussi : les publier, c’est s’autoriser à ne plus y toucher. Pour la tracklist, on a essayé d’infuser une rythmique à l’EP : des montées d’émotions suivies par des morceaux plus chill, et une fin comparable à un coup de couteau dans le cœur.

Es-tu fier de cet EP ?  

Je suis très content et soulagé de l’avoir sorti. Comme je l’ai dit, seul le temps me dira si j’en suis fier ou non. Par exemple, “Abysses” a pris de l’ampleur avec le temps, dans mon estime comme dans celle du public. Je sais que mes musiques vont voyager, et rien que le concert peut le prouver : ceux qui étaient là vont sûrement écouter différemment certains de mes morceaux. Quand j’ai vu Georgio jouer devant moi à l’époque, je n’ai plus jamais écouté ses titres de la même manière ensuite. 

Pour finir, un jeune artiste à faire découvrir aux lecteurs de La Pépite ? 

(Il regarde dans ses playlists). J’aimerais bien te trouver une petite pépite à 300 écoutes… Je te dirai Hominguest, il venait parfois sur mes lives. Comme moi, il fait un mix de chant et de rap. Il avait un très bon délire, donc si tu lis cette interview, je t’embrasse ! 

Diamant Brut” de Younsss est disponible sur toutes les plateformes de streaming.