Alvin Chris est de ces artistes qui se démarquent avec facilité. Derrière lui, il y a tout un monde de questions et réflexions perpétuelles. Comme s’il était en quête de réponses, de vérités et de sens, l’artiste a choisi la musique pour partager le fil de ses pensées. Producteur, chanteur, rappeur et passionné, ici, il ne s’agit pas de créer la recette musicale attendue par le public, mais bien d’imposer sa patte.
Parce qu’il est tellement libérateur d’être soi-même et de ne plus prêter attention aux codes qu’on s’impose, Alvin Chris s’assume et assure avec son nouvel EP Après vous. Au menu, huit titres, un feat, mais surtout du rap et des textes forts mélangés à une excellente musicalité.
Pour La Pépite, l’artiste revient sur la réalisation de cet opus et l’ensemble de son univers artistique. Un entretien enrichissant, surprenant et empreint d’une grande maturité.
J’ai appris à accepter de me questionner, à déconstruire certains trucs.
La Pépite : Ton nouveau projet, Après vous, est disponible depuis le 4 février. Sur Instagram, tu as précisé dans un post que cet EP c’était avant tout celui de la réconciliation avec toi-même. Tu expliques que tu t’es beaucoup menti à toi-même, parfois par conformisme, et que tu as trop longtemps ignoré ton instinct. D’après tes mots, il n’y avait pas de place pour « être autre chose que ce qui était prévu ». Qu’est-ce qui était prévu d’après toi ?
Alvin Chris : Pleins de choses. Ça dépend de quel point de vue on regarde. Pour mes parents, il était prévu que je sois un garçon bien appliqué, qui va à l’école, qui fait ses études, un bac +5. Le parcours classique de celui qui bosse, qui se marie, qui a une voiture et un petit chien. Mais rien de tout ça ne s’est passé (rires). Je ne dis pas que rien de tout ça ne se passera… Mais voilà.
Ça concerne aussi les rencontres que tu fais dans un certain contexte, comme à la fac par exemple. Comme j’ai justement décidé d’écouter mon instinct et d’être « moi-même », tu te rends compte qu’il y a des gens avec qui ça matche dans un certain cadre, mais quand tu en sors un petit peu, on n’attend pas de toi que tu sois cette personne. « On pensait que t’étais plus comme ça, on t’aime bien quand t’es dans ce délire-là. »
Ça concerne aussi les relations amoureuses, surtout même. Même si je n’en parle pas explicitement dans le projet, parfois, t’es dans une relation et tu sais pas vraiment ce que tu fous là. T’es dans un truc et il y a un modèle qui existe… Toi, tu sais pas trop pourquoi, ça te correspond pas forcément. J’ai toujours eu du mal avec le fait de suivre un truc sans trop savoir pourquoi, de ne pas donner de sens et de ne pas me sentir absolument concerné dans ce que je suis et ce que je fais. J’ai appris à accepter de me questionner, à déconstruire certains trucs. Là, je suis dans cette phase-là de ouf et ça fait du bien.
P : Comment tu t’y es pris pour lutter contre ce conformisme et trouver ce que tu voulais vraiment véhiculer artistiquement ?
A : Je pense que c’est important de rester passionné. Je me rappelle toujours comment je suis parvenu à faire de la musique et c’était par pure passion. J’avais 14/15 ans, j’allumais mon ordi, j’essayais de trouver des instrus sur YouTube avant que ça soit l’époque des type beats, et j’écrivais des textes. Je rappais tout seul dans mon coin pendant des années, sans dire à personne que j’aimais ça.
Je passais des soirées entières à rapper avec des potes, dans des soirées, des open mic, etc. Et je pense que la meilleure manière de ne pas rester dans ce conformisme, c’est de faire quelque chose que tu aimes. C’est aussi très lié à la vie en général. Je pense que la meilleure manière, c’est de s’écouter et de rester intéressé.
On sous-estime à quel point l’avis des gens conditionne notre façon de faire et de voir les choses.
P : Est-ce que ça signifie qu’avant tu faisais davantage à l’avis des gens mais qu’aujourd’hui tu as réussi à passer au-dessus ?
A : Il y a peut-être un peu de ça, mais je m’en rendais pas forcément compte. Avant, j’étais beaucoup influencé par l’avis des gens. À force de rencontrer des gens que tu apprécies, d’avoir des petites conversations à 3h du mat en étant bourré et en disant « En fait, ce truc là j’trouve ça super chiant, ça me parle pas », on se rend compte qu’il y a pleins de gens qui pensent comme nous. On se demande pourquoi on n’accorde pas d’importance à ces choses-là, aux petites opinons qu’on a mais qu’on a honte d’avoir, parce que c’est pas à la mode, parce qu’on les crie pas sur tous les toits ou parce que c’est pas vendeur.
J’ai toujours essayé de me battre contre l’avis des gens, mais je crois, et j’ai accepté qu’ils me pesaient beaucoup plus que je ne le croyais. Je pense que globalement, d’une manière générale, on sous-estime à quel point l’avis des gens conditionnent notre façon de faire et de voir les choses. J’crois qu’on n’a jamais fini de se battre contre ça. Je pense que, là, j’ai dû grimper d’un étage. Aujourd’hui, je me bat encore contre ça mais j’en suis plus conscient qu’avant.
C’est vraiment la création pure que me fait du bien.
P : Tu insistes aussi sur le fait que tu as toujours écrit POUR toi, de ton enfance à aujourd’hui, et que cet EP est avant tout POUR toi. A quel point ça a été thérapeutique pour toi ? Quelles leçons tu retiens avec la réalisation de cet EP ?
A : Ça a toujours été thérapeutique. Ce que tu dis, ça correspond à la façon dont moi je vis la création artistique. Ça me fait toujours du bien d’écrire. J’écrivais avant de faire de la musique ! J’avais un petit journal intime quand j’étais petit, que j’ai recommencé 15 000 fois parce que je le perdais tout le temps.
J’ai toujours aimé écrire, ça me permet de m’évader, de kiffer. C’est vraiment la création pure qui me fait du bien. C’est pas forcément ce que je raconte qui me libère, mais le fait de le raconter. Ce petit moment avec moi-même où je m’écoute, où j’essaie de faire un truc qui me plait, et après j’ai un résultat qui est cool. Ça me fait toujours du bien.
Alvin Chris – Après vous
P : Est-ce qu’il y a des points particuliers où cet EP a été thérapeutique pour toi, ou ça l’a été au même titre que les autres projets ?
A : Ça a été aussi thérapeutique que les autres projets. La musique, quand je la fais, c’est toujours pour me faire du bien. Par contre, artistiquement, ça m’a fait du bien de pouvoir de ne mettre aucune barrière sur la musique que je voulais faire.
P : Tu t’es fixé des objectifs en particulier avec ce projet ?
A : L’objectif artistique, c’était de m’amuser, de montrer ce que je savais faire et ce que j’aimais. Je voulais qu’à la fin de ce projet, ils puissent se dire : « Ok, Alvin est capable de faire ça ». J’te donne un exemple, sur BEUG, j’ai fait un refrain avec une voix de tête, et j’avais jamais osé faire ça avant. C’est un truc dont j’avais envie depuis très longtemps. Je suis fan de funk, de pleins de trucs, et je crois que l’année dernière je m’étais pris The Weeknd à fond…
P : Et t’avais pas osé parce que tu t’en sentais pas capable avant ?
A : Exactement, c’est ça.
P : Et là, t’as vu que t’en étais capable ?
A : C’est ça. J’ai osé, tout simplement, et j’étais trop content du résultat. Ce projet, il était thérapeutique dans le sens où, les trucs que je dis, je les vis en faisant le projet. Faire cette musique, de cette manière-là, oser être l’artiste que j’ai envie d’être, ça m’a fait du bien, tout simplement.
P : Tu écris donc des textes depuis ton adolescence ? Quels pouvaient être les sujets abordés à cette époque-là ?
A : Je me rappelle d’un de mes premiers textes qui s’appelait « Ma différence » (rires). Quand j’ai commencé à rapper, j’aimais pas le rap que j’entendais. Globalement, j’ai grandi avec les années 90… J’suis un peu un connard de puriste… (Rires) Je pense plus comme ça aujourd’hui, mais à l’époque, si. Je commence à rapper en 2007, l’époque où on est à fond dans Skyrock, et la soupe qu’on mange, c’est celle de Skyrock et du rap français de l’époque.
À cette période, beaucoup de gens pouvaient dire qu’ils aimaient le rap US mais pas le rap FR. C’est plus trop un argument qui se tient aujourd’hui. Bref, j’aimais pas le rap que j’entendais et j’avais envie de faire du rap qualitatif. Ça me faisait chier d’entendre des clichés tout le temps et les discours des rappeurs m’emmerdaient un peu… Après, j’étais hyper prétentieux et loin d’avoir du recul, j’étais un ado. Mais je me rappelle que dans mon texte, je disais : « ma différence c’est que moi je te parle d’autres choses, moi je te rappe la vie de tous les jours ».
P : Tu ouvres ton projet avec le premier titre Ça m’arrange, où le message est clair : « Si ça les dérange, ça m’arrange ». Pourquoi est-ce que ça paraît aussi agréable d’être autre chose que ce qu’on attendait de toi ?
A : Elle est super cool ta question, j’aime bien. Déjà, merci, parce que moi j’ai pas conscience que ça soit agréable. Je pense que tout le monde peut s’identifier à cette phrase, parce qu’on a tous un peu cette sensation-là. Je crois que les gens ont cruellement besoin d’être eux-mêmes dans la vie de tous les jours. Les gens ont besoin d’assumer leur sexualité, leur physique, leur milieu social, leur identité, leurs opinions.
Et parce qu’on est tout le temps dans la comparaison, dans le conflit, le « m’as-tu vu », c’est agréable de se rendre compte que j’accepte qui je suis. Et tant mieux si ça les fait chier, parce que personne n’est né pour rendre des comptes à qui que ce soit. Donc je crois que ça concerne toutes les formes de lutte et de débats pour exister. Tous les gens qui se battent pour exister doivent pouvoir se dire que si ça les dérange ça m’arrange. Tant mieux, parce qu’à aucun moment c’est mon rôle de faire plaisir à une forme d’oppression, qui décide de comment la terre doit tourner.
P : Cette phrase, tu te l’aies toujours dit, ou c’est venu spontanément en écrivant ton texte ?
A : Ça m’est venu très spontanément, mais je crois que parfois, dans les choses spontanées, il y a des trucs qui ressortent d’il y a très longtemps. Quand j’ai écrit cette phrase, ça faisait écho à pleins de trucs. C’est le premier projet que je fais artistiquement avec un « orteil » dans la musique. Et je crois que j’ai pris une petite claque dans la gueule… J’ai toujours fait de la musique dans ma chambre. Alors certes, je suis sur YouTube etc, mais de là où je suis, j’entends pas l’avis des gens.
Après avoir passé une année à rencontrer pas mal de pros, des labels, des programmateurs, etc… C’est pas que ça m’a dégouté de la musique, mais j’ai entendu trop de gens avoir un avis sur moi et me dire ce que j’étais sensé devoir faire. D’ailleurs, ce morceau c’est le premier que j’ai gardé. Je crois que, quelque part, j’en ai parlé à moi-même en me disant : en fait, si ma proposition artistique ça les dérange, tant mieux, car je suis pas là pour faire plaisir et faire la musique qu’on attend de moi.
Sois toi-même, parce que c’est de ça que tu as besoin pour être bien.
P : Il y a une espèce de clairvoyance dans ton écriture, notamment quand tu affirmes, dans le même morceau, que « Ça m’a usé d’être une marionnette du système ». Qu’est-ce que ça représente cette affirmation ?
A : Quand j’ai écrit ça, je faisais référence aux années où j’ai dû faire des petits boulots, des jobs qui ne me parlaient pas. Tu lèves les yeux au ciel et tu te dis « mais qu’est-ce que j’fous là, est-ce que ça me fait vibrer, est-ce que je suis né pour faire ça ». Se lever le matin, faire un truc, se coucher le soir et recommencer, sans être soi-même, je trouve ça super violent.
Mentalement, ça m’a toujours beaucoup pesé. C’est une des expériences qui m’a poussé à me dire que j’avais envie de faire de la musique, que c’était ça mon truc et quoi qu’il m’en coûte. Je suis toujours plus heureux en faisant ce que j’aime qu’en faisant ce qui me fait chier.
P : Dans le titre Averse, on a l’impression que tu te parles à toi-même et que tu cherches à te convaincre de chanter : « Libère ton âme des tourments, chante ». Ce morceau se rapproche d’une ôde au chant et à la musique, mais c’est en même temps en contradiction avec cette phrase que tu répètes en boucle dans ce même morceau : « Aujourd’hui j’me sens bête ». Qu’est-ce que ça veut dire exactement ?
A : En fait, j’ai l’impression que dans tous les titres je dis la même chose, avec un angle différent. Dans Averse, c’est un peu les mêmes propos que dans Ça m’arrange, à savoir : soi toi-même, parce que c’est de ça que t’as besoin pour être bien. Et, en fait, je me sens bête parce que je suis oppressé, parce que parfois j’suis angoissé… À la seconde où je m’autorise à oublier un peu là où j’ai envie d’aller et ce que j’ai envie de faire, je kiffe pas ma vie et j’ai l’impression d’être malheureux.
C’est tout une sorte d’image autour de l’averse. Parfois, même quand il pleut, il suffit de danser sous la pluie pour être heureux. Donc j’me sens bête parce que j’suis sous la pluie et c’est un peu con d’être sous la pluie sappé en blanc, alors qu’à l’instant où je le décide, si je me mets à danser, tous mes problèmes vont disparaitre. C’est un peu ça l’idée du morceau.
Lorsque t’écoutes ce projet, on sait pas si j’ai extrêmement confiance en moi, ou si je suis continuellement rempli de doutes.
P : Comme le titre Pas d’excuses, on dirait vraiment une note à toi-même pour te rappeler, comme tu le dis toi-même dans ce morceau, que « rien n’est acquis dans la vie » et que tu n’as « pas d’excuses ». Pourquoi ce rappel ? C’est une forme de protection ?
A : J’essaye de m’auto-convaincre. Au final, lorsque t’écoutes ce projet, on sait pas si j’ai extrêmement confiance en moi, ou si je suis continuellement rempli de doutes. Et je crois que je ne sais pas moi-même. C’est une dualité constante, c’est là toute la complexité de mon esprit. Après, j’écris pas toujours les morceaux dans le même mood. Il y a des phases où j’suis confiant, d’autres où je doute. Mais le fait de douter nourrit ma rage et mon ambition. Je pense qu’il n’y a aucune émotion qui existe réellement sans une autre, ça contrebalance avec.
P : De manière générale, tu écris à quels moments ?
A : Pour ce projet, la plupart des morceaux ont été fait dans ma chambre, le soir, quand je suis seul. La plupart du temps, j’ai besoin d’être seul pour écrire, à l’exception de Séquence Émotion, c’est le seul qui a été fait en studio. Sinon, en général, je suis assez introspectif.
Je cherche à la fois la lumière, parce que j’ai envie que ma musique traverse les murs, et en même temps, quand elles s’éteignent, je suis très content, parce que je me retrouve.
P : Sur l’outro du projet, KO, on a encore l’impression que tu te parles à toi-même. Tu répètes plusieurs fois la phrase « Peut-être que ma réussite est une putain d’erreur » suivi du constat « J’ai rien réussi, c’est moi la putain d’erreur ». Tu doutes de ta réussite ? Ce sont des questions que tu te poses souvent ?
A : Ouais, je me pose tout le temps des questions. Je suis à la fois rempli de certitudes et de questionnements. Je suis un artiste, j’ai envie que ma musique soit authentique. Ça passe par beaucoup de sacrifices et de difficultés à vivre. Parfois, quand t’es artiste, tu envies pleins de choses, tu peux avoir accès à tout un tas de trucs, de privilèges dans la culture, t’es mis en avant, etc. Et parfois, je me demande si c’est ça le plus important.
Ça fait aussi du bien de prendre du recul et de se demander après quoi on court, qu’est-ce qui reste de ce qu’on fait, est-ce que c’est vraiment ça le plus important, où est la richesse là-dedans…. Et quand tu vois tout ce que ça peut coûter, ou tout ce à côté de quoi tu peux passer, comme les proches que tu vois moins et ce genre de choses… Est-ce que l’erreur, c’est justement de croire que c’est cool d’être une star ? Je pense que, quoi qu’il arrive, c’est cool de garder ça en tête, même si j’suis loin d’être en tournée internationale.
Ce morceau, c’est un peu la thématique du clown triste. C’est une image qui me parle parce que je suis quelqu’un de très introverti, ce qui est très paradoxal avec le fait d’être artiste et de chanter sur scène. Je cherche à la fois la lumière, parce que j’ai envie que ma musique traverse les murs, et en même temps, quand elles s’éteignent, je suis très content, parce que je me retrouve. Si je ne me retrouve pas, je n’aurais rien à mettre en lumière.
P : Sur les 7 titres du projet, on retrouve un feat avec David Campana, sur le morceau Dernier move, un titre dansant. C’est la seule collaboration qui figure dans l’EP. De quelle manière vos deux univers correspondaient pour travailler ensemble ?
A : On ne s’est jamais rencontré ! À l’époque des couvre-feux, un média québécois me suivait. J’ai été invité dans un live et j’ai parlé à des gens. J’ai dit qu’un jour je kifferai faire une collab’ avec un rappeur québécois. On nous a mis en connexion, j’aimais beaucoup ce qu’il faisait. Lui, il a une voix extraordinaire, il chante super bien. C’est ouf. Il fait beaucoup de choses différentes, il est très polyvalent. Sur ça, on se ressemble un peu. Les morceaux que j’avais entendu de lui, c’étaient des morceaux très club, dans un univers un peu rap/rnb, des sons vraiment planants…
Moi, j’étais en train de boucler mon projet, j’avais des couplets à terminer. J’étais sur Dernier move, et j’avais déjà essayé un couplet que j’aimais pas et que j’avais enlevé. J’ai essayé d’en faire un nouveau et j’me suis dit « tiens, on va voir si ça le chauffe ». Je lui envoie, et une semaine après il m’envoie sa partie. C’était incroyable. Je trouve qu’un featuring, c’est une petite touche qui va relever le projet. Je trouve ça plus intéressant que d’avoir trop de feats, où on ne sait plus trop à quoi se raccrocher.
Dès qu’on te décrit, c’est une case. (…) Ils ont fait ce qu’ils avaient à faire, maintenant, à moi de faire le job.
P : Globalement, dans ta musique, on relève aussi toute la place que t’accordes à la mélodie, aux instruments. Ton art regroupe plusieurs styles musicaux différents et c’est marrant parce que tu dis toi-même dans Ça m’arrange : « Après me mettre dans une case, qu’est-ce que tu comptes faire ». Dans quelle case on a pu te mettre jusqu’à aujourd’hui ?
A : On a pu me mettre dans la case du connard de puriste. Maintenant, j’en rigole. À l’époque, j’étais un kickeur, en mode tu rappes sur du boombap, 90 bpm, et tu fermes bien ta gueule. Sinon, si tu fais autre chose, t’as vendu ton âme. En fait, dès qu’on te décrit, c’est une case. On me décrit souvent comme un mec qui fait de la musique chill. Je comprends ce que je les gens disent, je pense même que c’est vrai, c’est peut-être ce que je dégage dans la musique. Mais je pense que c’est jamais simple à entendre pour un artiste, parce que toi, quand tu fais ta musique, tu réfléchis pas. Et ça va me donner envie de faire l’exact inverse.
Ce morceau, c’est aussi un peu pour prévenir : cassez pas les couilles, ça peut partir dans tous les sens, et c’est moi qui décide, j’fais c’que j’veux, et si vous êtes pas contents j’vous emmerde (rires). On me compare aussi beaucoup à MC Solaar en timbre de voix. Je comprends très bien qu’on me compare, et c’est normal. Les autres artistes étaient là avant, et j’pense que c’est à chaque artiste d’imposer sa patte pour qu’on oublie le reste.
J’pense que tous les grands artistes qui sont arrivés étaient beaucoup comparés au début. Je me souviens quand Damso est arrivé, tout le monde disait qu’il faisait du Booba ou que c’était un nouveau Kaaris. Aujourd’hui, ça viendrait à personne de comparer Damso avec qui que ce soit. Al a fait ce qu’il avait à faire ! On disait d’Alpha Wann que c’était une copie de Dany Dan. Tout son crew, avec Nekfeu, ça racontait qu’ils se prenaient pour des mecs à l’ancienne… Aujourd’hui, j’pense que plus personne ouvre sa bouche parce qu’ils ont fait ce qu’ils avaient à faire, donc, maintenant, à moi de faire le job.
J’ai toujours aimé le rap mélangé à une bonne musicalité, c’est ce que j’essaye de faire aujourd’hui.
P : Toi, globalement, tu as grandi avec quels registres musicaux ? Quels sont ceux qui t’ont le plus impacté ?
A : J’ai écouté pleins de choses. Mon père, c’est quelqu’un qui avait beaucoup de disques. Il achetait des CDs, il les écoutait même pas, j’sais pas pourquoi. Du coup, on les écoutait pour lui (rires). À la maison, il y avait les Fugees, les Spice Girls, Barry White, Carlos Santana, Buena Vista Social Club… J’écoutais pleins de trucs comme ça, et on regardait beaucoup la télé avec mon frère. On est nés en Belgique, moi je suis le dernier de la famille, donc j’ai plus grandi en France qu’eux. Ça veut dire que les Pascal Obispo, Calogero, Jenifer, toute la variété française, on la prenait fort. C’est des trucs qu’on n’assume pas, mais à l’époque, j’avais pas notion de ce qui était « cool » à écouter ou pas et je l’écoutais tout autant que le rap.
En vérité, je fais du rap depuis toujours, mais ce que j’aime le plus dans le rap c’est les singles. Je parle d’IAM dans mes refs, et mon morceau préféré d’eux c’est Je danse le Mia. C’est le titre le plus ouvert. Il y a les autres classiques que j’adore, mais celui que je vais écouter en boucle c’est le single. J’ai toujours aimé le rap mélangé à une bonne musicalité, c’est ce que j’essaye de faire aujourd’hui. Je parle de single au sens musical du terme. Je ne dis pas que c’est le chemin à prendre, mais, en général, j’aime bien quand c’est ouvert musicalement et que ça mélange des genres.
P : Sur les 7 morceaux du projet, il y en a quand même trois qui ont été clippés : Bug, Averse et Pas d’excuses. Ça donne quand même beaucoup de matière à tes auditeurs et ça montre que tu travailles aussi beaucoup ton univers visuel ! Tu as toujours mis un point d’honneur là-dessus ? Pourquoi ?
A : La musique s’écoute avec les images. Je pense que quand tu sors des trucs, il faut être visible. En plus, j’aime bien ça, donc j’essaye de m’amuser. À force de bosser avec des réals, j’apprends à faire des moodboards, j’essaye de visualiser les trucs. Je trouve que l’image, c’est le truc le plus difficile à faire. Tout dépend de l’image.
Je peux faire la meilleure musique du monde, la meilleure prod, le meilleur ingé, le son est mixé avec des paroles de dingue… Si l’image n’est pas clean, tout ça, ça va servir à rien et ça va être gâché. Donc tout va dépendre de ça, et il faut que j’arrive à faire quelque chose qui va entrer dans mes frais, et qui en même temps va bien me ressembler. Un truc peut-être original, ou au contraire, ne pas trop s’écarter et faire quelque chose de maîtrisé.
J’ai des idées pour un premier album, mais c’est un truc que je garde pour l’instant, car c’est quelque chose où tu vas plus en profondeur.
P : Depuis 2018, tu as produit 4 projets différents et une série de pas mal de freestyles. Quels sont les points de divergence entre ton nouveau projet et les derniers ?
Après vous, c’est le premier projet que j’ai entièrement produit avec un réalisateur artistique. C’est une info que je tenais à dire d’ailleurs. Il s’appelle Makeameal, il a fait quatre prods sur le projet et il a arrangé tous les titres. Je me suis assis avec lui, chaque morceau est passé entre ses mains. On travaille les arrangements, c’est un truc que je faisais pas avant. C’est pour avoir un morceau aboutit, c’est pas redondant. La structure est toujours intéressante à découvrir pour que le projet se tienne.
Les producteurs ont fait un gros taf sur ce projet. Il y a aussi Black Swan qui a réalisé la prod de Beug. Mon pote Strunk a réalisé celle de Pire espèce. Moi-même, j’ai fait la prod de Dernier move.
Globalement, la production, c’est ce que j’ai vraiment amélioré avec ce projet. Je trouve que ça s’entend et ça fait du bien. J’suis content de ça. J’ai toujours fait des EP comme des cartes de visite. Je me suis pas encore vraiment pris la tête sur un album, un concept. J’ai des idées pour un premier album, mais c’est un truc que je garde pour l’instant, car c’est quelque chose où tu vas plus en profondeur.
Donc, pour l’instant, c’est des EP. Alors, certes, il y a une cohérence artistique qui en ressort, mais ça reste des cartes de visite de la musique que je sais faire.
P : Pourquoi “Après vous” ?
A : Le projet précédent s’appelle Enchanté. Moi j’suis un mec poli donc quand j’dis bonjour, enchanté ! Je vous invite à entrer, Après vous. Et après ça j’dis encore autre chose, mais ça faut rester vif pour la suite.
C’est une nouvelle manière pour moi d’aller chercher de l’inspiration.
P : Qu’est-ce que tu retiens de ce projet ?
A : Il y a pleins de choses dont on ne parle pas. On parle pas de toute la partie professionnelle, comment c’est structuré. J’ai surtout beaucoup appris de ce côté-là. Ce projet, c’était un projet très ambitieux et où j’ai le plus de budgets entre les mains par exemple. Avec mon équipe, on est parti chercher des subventions, gérer des plateaux avec des réals, des plannings, beaucoup d’interlocuteurs par rapport au projet d’avant.
Après, sur le plan humain et artistique, ça a travaillé en équipe. Le fait que ça soit super intéressant pour moi de bosser et de confier la musicalité à des gens doués pour ça, et de me focus un petit peu plus sur le taf vocal et l’écriture. Ça m’a fait du bien de pouvoir faire ça.
P : Tu sens que ton écriture évolue au fil des années et des projets ?
A : Bien sûr, là, vraiment, ce qui m’a fait du bien, c’est de m’entourer de mecs qui savent faire de la musique et qui me comprennent. C’est le cas de Makeameal, on a eu une super alchimie entre nous et il y a des morceaux qui sont dans les trois jours derniers jours avant qu’on rende l’enregistrement. Et ça m’a fait du bien, ça m’a appris à m’entourer des personnes qui m’inspirent. Je sais que c’est une nouvelle manière pour moi d’aller chercher de l’inspiration.
Après vous d’Alvin Chris est disponible sur toutes les plateformes de streaming.