Angie a peu de mots à la bouche lorsqu’il s’agit de parler d’elle : l’amour, l’amour et enfin l’amour. L’autoproclamée “Miss Amour” en a même fait sa raison de vivre. L’amour charnel et romantique, mais pas seulement. Celui d’une mère, qui vit un (son ?) rêve à travers la musique de sa fille. Celui de ses petites sœurs, de ses copines, de ses collègues de travail. L’amour de soi, enfin, lequel te fait avancer bien plus que tout autre personne. Bref, nous voici avec Gigi L’Amoroso.
Pendant près d’une heure, nous avons eu l’occasion d’échanger avec elle pour retracer, de manière chronologique, son lien avec la musique. Une histoire d’amour, encore une, qui débute le jour de son inscription à la comédie musicale, à l’âge de cinq ans. Aujourd’hui, la vingtaine passée, Angie s’épanouit toujours autant, comme nous le fait ressentir son nouvel EP, “L’Amoroso”, dévoilé mi-avril.
Un disque qui nous a ému autant qu’il nous a fait tomber amoureux. On vous le souhaite également.
Très heureux de pouvoir discuter ensemble, comment vas-tu ?
Très bien, en cette belle journée ! Je suis actuellement à Rennes, en résidence pour préparer les Inouïs du Printemps de Bourges. C’est le premier jour aujourd’hui, on a déjà super bien avancé.
Si on remonte le temps, tu as fait partie d’une comédie musicale de tes cinq à seize ans, par laquelle tu as découvert le chant, mais aussi le théâtre et la danse. Quels souvenirs en as-tu ?
Ce sont mes premières expériences de scène. Avant la comédie musicale, je demandais déjà à ma mère d’être sur scène, et elle s’est débrouillée pour trouver une activité à mon goût. J’ai d’abord fait de la danse bretonne, c’était horrible et je ne faisais que pleurer. Ensuite, elle a trouvé cette comédie musicale, et j’ai directement accroché. Tous les enfants étaient timides et se cachaient au fond de la scène pendant que j’allais tout devant pour prendre le micro et chanter. J’aimais déjà la scène, je trouvais ça marrant : tu peux faire le clown, les gens rigolent et applaudissent. Et, avant chaque représentation, on se faisait habiller, maquiller et coiffer. J’adorais déjà ça.
Quel lien entretient ta mère avec la musique ?
Elle en écoute beaucoup, depuis que je suis toute petite. Enceinte, elle est allée à de nombreux concerts, ça n’a rien d’étonnant si je suis aussi passionnée par la musique. Elle me fait rire parce qu’elle connaît tous les sons que l’on écoute aujourd’hui.
Elle écoute quoi en ce moment, par exemple ?
Je vais lui envoyer un message pour lui demander… attends, je vais l’appeler carrément… [après quelques secondes]. Elle n’a pas répondu, elle va être dégoûtée de savoir que j’ai voulu la joindre pendant une interview, sans qu’elle ne le voie.
Bref, elle connaît tout le monde, de joaqm à Khali, Rounhaa et Kerchak. Elle écoute tout ! Je n’aurais pas pu avoir une meilleure maman. Et à chaque fois que je fais un son, je lui envoie et elle écoute.
Tu es née en 2001. Avec quels artistes as-tu grandi ?
Quand j’étais petite, ma mère écoutait en boucle Lauryn Hill et Bob Marley. Ma mère danse tout le temps, même pendant qu’elle fait le ménage. La musique l’a toujours rendue heureuse. Je voulais pouvoir ressentir la même chose qu’elle vis-à-vis de la musique. Elle écoute d’ailleurs encore “The Miseducation of Lauryn Hill” [NDLR : son premier album, paru en 1998] comme s’il venait de sortir. Quand Lauryn Hill – et même Erykah Badu d’ailleurs – chantent, tout le monde cesse de parler pour écouter. Chacun de leurs mots est chargé de sens et d’émotions, ça me fait vraiment kiffer.
Ensuite, Beyoncé et les Destiny’s Child, que je voyais à la télé. C’est elles qui m’ont donné envie de faire du live. Beyoncé procure quelque chose aux gens, je l’aime pour ça. Amy Winehouse arrive quand je suis plus grande. Rien que sa voix est tellement chargée d’émotions. A sa mort, j’étais tellement triste de me dire que je ne la verrais jamais en concert.
Quand tu étais à l’école primaire, un enseignant a fait asseoir la classe pour te laisser chanter devant tout le monde. Peux-tu nous raconter ce moment ?
C’était en CP ou CE1. Ce jour-là, j’avais écrit une chanson en classe, avant d’avoir cours de sport. Le professeur d’EPS avait fait asseoir toute la classe sur le terrain de foot. Mes deux meilleures copines faisaient la chorégraphie, derrière moi. Je me souviens très bien de cette journée, il faisait beau aussi.
As-tu vite pu t’entourer de personnes qui avaient la même ambition artistique que toi ?
Avant le lycée, c’était une galère. Je suis née à Brest, et j’ai grandi à Carhaix. Autant te dire qu’il n’y avait rien sauf, peut-être, le studio de la maison de jeunesse. J’étais limitée à écouter des type beats et écrire toute seule. Je n’ai jamais désespéré, car j’avais en tête de partir dès que je pourrais le faire. J’allais forcément trouver un moyen de faire ce pour quoi je crois être sur Terre.
Au lycée, j’ai rencontré mon premier mec : il faisait du son, et c’est avec lui que j’ai commencé à m’enregistrer. Petit à petit, je me suis construit un petit entourage avec lequel je pouvais faire du son.
Après le bac, tu déménages à Nantes pour suivre une licence d’anglais. Tu as très vite jeté l’éponge, pour te concentrer sur la musique. Dans quel état d’esprit étais-tu à ce moment-là ?
Je suis partie à Nantes avec l’un de mes meilleurs potes. C’est lui qui est derrière les prods de mon premier projet. On allait à la fac mais, à chaque temps libre, on faisait du son. Très rapidement, les cours en amphithéâtre ont sauté au profit du studio. Avant la seconde année, ma mère m’a fait comprendre qu’il fallait choisir entre les deux, pour me donner à 100% quelque part. J’ai arrêté les cours et suis rentrée chez mes parents. Depuis, ils me soutiennent, m’aident et investissent comme ils le peuvent dans ma musique.
Je n’aurais pu rêver mieux, mes parents sont si compréhensifs et de vrais supporters. Aujourd’hui, mes petites sœurs ratent les cours lors de mes dates de concerts. Ma mère n’en a rien à faire, elle leur dit : “ma fille fait du son, on s’en fout de l’école, on va la soutenir”.
En 2019, tu sors ton premier single sur les plateformes, très vite suivi par ton premier projet, intitulé “December 8th”. Quel regard portes-tu dessus, quatre ans après ?
Les sons de cet EP sont les premiers morceaux qu’on a réellement finis. A l’époque, j’avais posté une vidéo qui avait pas mal tourné sur Twitter. Les réactions nous avaient donné envie de rendre les sons disponibles. Le projet est venu très vite ensuite, sans trop de réflexion. On l’a fait parce qu’on était libre de le sortir. Aujourd’hui, je ne calcule plus trop ce projet car, pour moi, il marque surtout le début. Certaines personnes l’écoutent encore, ça m’étonne toujours quand on me le dit. Je n’en ai pas honte, ça reste simplement mes premiers pas.
Tu avances depuis environ deux ans avec D·I·V·A·, agence créative et label exclusivement dédié aux artistes féminines et queer, sur laquelle sont également signées Lazuli et Lou CRL. Qu’est ce qui a changé depuis cette signature ?
Je travaille avec des personnes qui font tout pour me permettre d’atteindre ce que je veux atteindre. Tu es à l’aise dans l’équipe, sans craindre les jugements quant à ce que tu exprimes. Si je n’ai pas envie de faire de son pendant deux semaines, aucun souci. C’est un luxe d’être dans cette situation. Avec les filles, on a la même vision, on fait les choses avec le même cœur. Je n’aurais pas pu rêver mieux.
Et j’ai pu rencontrer des artistes incroyables, qu’il s’agisse de Lou ou Lazuli. Je n’ai pas encore eu l’occasion d’être en studio avec Lou. Avec Lazuli, c’est très fluide entre nous, et tellement précieux comme lien. Elle est devenue ma sœur, on se soutient toutes les deux. C’est cool de savoir que tu es entouré d’une artiste dans la même situation que toi, plus ou moins au même stade de nos carrières.
Passons maintenant à ce nouvel EP, “L’Amoroso”. En quoi est-il différent du précédent ?
En fait, on peut presque dire que c’est mon premier projet. Il est exclusivement en français, là où le “December 8th” était écrit en anglais. Ce n’est pas non plus les mêmes histoires que je raconte. Concernant l’écriture, on voit où j’en suis aujourd’hui. Elle s’est affinée, ce qui est important pour moi car les mots ont un sens. J’ai réussi à retranscrire ce que je ressentais au moment de le faire.
Les covers des singles et du projet sont trois portraits qui se ressemblent, dans une direction artistique plutôt minimaliste et des teintes très identiques. Que racontent-elles du disque ?
Sur celle de “Le Choix”, je suis allongée sur le sol. On dirait que je suis au bout de ma vie. Celle de “Méchant” laisse apparaître une silhouette d’homme. Il n’est pas censé être là, pourtant son ombre trahit sa présence. Ensemble, elles font sens quand tu écoutes le projet. La cover de l’EP est ma préférée du shooting. J’aime mon attitude et mon regard, auquel on ne sait même pas quelle signification lui donner. Elle est minimaliste et élégante, elle représente plutôt bien mon état d’esprit.
Le titre de l’EP est “L’Amoroso”. Faut-il davantage y voir une référence au mot italien [NDLR : qui signifie tendresse, amour] ou à la chanson de Dalida, “Gigi L’Amoroso” ?
Il y a plusieurs choses. Comme je m’appelle Angie, on m’a toujours surnommé Gigi. Donc, depuis que je suis petite, on me chante “Gigi L’Amoroso”. Quoi de mieux que ce titre pour la “Miss Amour” ? Initialement, ce n’était pas ce titre mais l’autre, je le garde de côté, il est super aussi !
Pour nos confrères de Mosaïque, tu expliquais ne pas avoir osé rapper avant longtemps. Tes potes masculins ne te laissaient pas la place pour t’essayer à la discipline. Aujourd’hui, il est intéressant de constater que tu ouvres le disque avec un morceau où rap et chant font la paire. Comment te sens-tu depuis que tu t’es pleinement approprié le rap ?
Je me sens complètement moi-même. Avant ça, c’était comme si j’effaçais une partie de moi pour rentrer dans un moule. Maintenant, il n’y a plus aucune limite. Cet EP sert à me présenter, à me défendre en tant qu’artiste. Sur l’intro, je montre que je suis faite de rap et de chant : c’est aussi naturel pour moi de rapper que de chanter.
L’EP est ponctué par trois interludes, sur lesquelles on entend ta grand-mère…
Pas du tout, je vais te raconter l’histoire ! Un jour, j’allais acheter des crêpes dans une boulangerie. En sortant, je tombe sur une mamie qui m’interpelle. On a parlé une heure, et les interludes du projet sont des morceaux de ce qu’elle m’a dit ce jour-là. C’était trop mignon et intéressant. Elle n’est même pas au courant que j’utilise sa voix ici. Dans l’outro, elle dit : “Je te reconnaîtrai, les belles filles on les reconnais, tu sais”. J’espère la retrouver un jour car, sur le coup, je n’ai même pas pensé à prendre ses coordonnées. Il faut savoir que j’enregistre chaque conversation longue à laquelle je participe. Les mamies viennent souvent me parler quand je suis dehors (rires), et c’est toujours très intéressant.
Comment se sentir face à une personne âgée qui annonce “regretter sa vie” ?
J’ai eu le cœur brisé après avoir entendu ça. Elle l’a répété plusieurs fois pendant notre discussion, j’ai senti qu’elle voulait me sensibiliser à cette pensée. Cette phrase fait écho à l’une des choses les plus importantes dans ma vie : ne pas avoir de regrets. Je fais tout pour ne jamais rien regretter. Cette dame n’a pas vécu la vie qu’elle voulait vivre, ça m’attriste et ça me fait peur. Femme du 20ème siècle, elle ne vivait qu’à travers son mari. Très jeune, elle s’est retrouvée à n’être que la femme d’un homme, contrainte à rester chez elle pour entretenir le foyer. Elle en a évidemment souffert.
Ces interludes racontent quelque chose sur le modèle traditionnel du couple. Quel est le rapport de “Miss Amour” avec les idées du couple et d’engagement ?
L’amour est la chose la plus importante dans la vie, sans parler uniquement de l’amour romantique. C’est trop enrichissant pour que je passe à côté. Bon parfois, je me mets dans des situations qui ne sont pas toujours en adéquation avec mon discours…
Ma vie est déjà géniale, mais j’ai hâte de pouvoir la partager avec quelqu’un. Simplement parce que l’amour décuple tout. J’encourage les gens à suivre leur coeur, à ne pas regretter leur vie. Dans notre génération, on a tendance à cacher nos sentiments amoureux par égo. Trop de gens regrettent une histoire qu’ils auraient pu vivre s’ils avaient pris le risque de l’amour.
Quelle est la chose la plus importante qu’on t’ait apprise ?
La plus grande leçon, c’est l’amour. J’ai été élevée dans l’amour, presque baignée, voire noyée dedans. On te le fait ressentir, on te l’explique et on te l’apprend. Si les choses se passent aussi bien pour moi aujourd’hui, c’est grâce à tout cet amour. Ma mère a toujours expliqué qu’on n’a besoin de personne pour avancer. Tant qu’on s’aime nous, entre nous, on y arrivera. Dans certaines histoires d’amour que j’ai vécues, j’ai parfois oublié que je n’avais besoin d’aucun garçon. Ma mère me l’a d’ailleurs fait comprendre, comme si j’avais oublié tout ce qu’elle nous avait dit. J’entends ce discours depuis petite, mais je ne l’applique pas toujours très bien, c’est vrai !
Sur “Notif Amour”, tu confies : “Ça ne parle que de toi à l’intérieur, j’ressens la sécheresse, le seum, la frustration”. Évoquer tes émotions ainsi permet-il de mieux les comprendre ?
Ce que je chante, c’est ce que j’ai besoin de dire ou besoin d’entendre. Je ne calcule pas, c’est comme si je m’adressais à la personne en question. Je chante ce que je n’arrive pas à dire dans une conversation. C’est comme si tout sortait enfin de moi, pour être enfin entendu. Depuis que je chante en français, j’arrive à mettre des mots précis sur ce que je ressens.
Tu annonces ensuite, sur “FM4X”, savoir “que [tu as] un grand destin comme pharaon”. Est-ce difficile de se projeter à long-terme quand on commence tout juste sa carrière musicale ?
Me concernant, pas du tout, honnêtement. Je sais depuis toujours ce que je vais faire, et comment je vais m’y prendre. Je suis convaincue que je suis sur Terre pour faire de la musique. En être persuadée depuis si longtemps me permet d’être sûre de moi. Je suis soutenue par ma famille, donc je n’ai pas à douter dans l’absolu.
Quel est ton rêve ?
Marquer l’histoire. Au-delà de mes ambitions personnelles, je dois au moins le faire pour mes parents et mes petites sœurs, qui n’ont pas eu la chance d’aller au bout de leurs rêves. J’ai envie de montrer que tout est possible à partir du moment où tu fais les choses à fond. J’habite en Bretagne, dans un coin où le R&B et le rap ne sont pas forcément implantés, et je fais quand même ce que je veux. Dans quelques années, j’ai envie que des petits me regardent en se disant que c’est possible.
Dernièrement, tu es apparue sur l’album collectif de La Place, “Des perles et des cendres”. Tu signes un solo et deux featurings. Peux-tu m’expliquer le concept de ce projet multi-artistes ?
A2H et Vicelow étaient les directeurs artistiques et coachs scéniques du projet. Ils ont choisi des artistes en qui ils croient. J’étais avec cinq autres artistes, avec un solo chacun et des featurings. Ce sont tous devenus mes frères et sœurs, j’adore cette équipe. On a tellement rigolé, c’était génial ! Quand ça matche humainement, artistiquement c’est l’éclate. On était tous en osmose.
Pour finir, si tu devais citer une pépite à nous faire découvrir, quelle serait la tienne ?
Ce serait NGUIMI [NDLR : @rene.nguimikala], c’est un mec de Brest. On a fait beaucoup de sons ensemble au début, je l’adore. Il est très fort, c’est un poète, il rappe et écrit tellement bien.
Angie sera sur la scène du Printemps de Bourges le vendredi 21 avril 2023.
“L’Amoroso” de Angie est disponible sur toutes les plateformes de streaming.