Huntrill, la trap comme figure de style

En mai de cette année, tandis que la Nouvelle-Calédonie s’embrasait à l’autre bout du monde pour réclamer son indépendance, la métropole faisait quant à elle face à une onde sismique nommée « Replica 2 » venue troubler la quiétude de la scène rap française. Court EP de 8 titres et 3 bonus, le projet est venu placer pour de bon Huntrill comme acteur incontournable de la scène underground, désormais prêt à sortir des entrailles de la terre pour venir récupérer sa place à la surface.

La réplique n’est en cette fin d’année pas venue sous la forme d’un 3ème opus mais sous le nom de « Nouvelle Trap 2 ». A l’image de ce patronyme direct et sans artifice, Huntrill nous apporte un projet trap dans lequel l’écriture atteint des sommets d’efficacité, où chaque punchline pourrait s’inscrire durablement dans notre tête si elle n’était pas suivie d’une seconde encore meilleure.


« Il a dit je ball plus, je hyperbole »

En introduisant son projet par un extrait du Montréalais Khosway qui réagit à sa propre phase « Je ball plus, j’hyperbole / j’suis ma propre figure de style » dans sa live react de Replica 2, Huntrill pose d’emblée les jalons qui vont parcourir l’album dans toute sa durée : indépendance, nonchalance et ego-trip.

Fidèles aux inspirations du rappeur, les prods d’Hologram Lo’ jouent un rôle primordial dans la création de l’univers sombre et dynamique qui parcourt l’EP. Alors que Replica 2 proposait principalement des instrus boom-bap new-yorkaises type années 90, NT2 signe une évolution chronologique vers la trap avec même quelques éléments drill sur certains morceaux (Maastricht).

Chaque prod possède sa propre personnalité tout en gardant l’identité que le beatmaker donne à l’écosystème DonDada Records depuis quelques années. Dans l’atmosphère musicale, l’album rappelle d’ailleurs souvent la DonDada Mixtape où Hologram Lo’ avait déjà composé la majeure partie des prods. L’utilisation des 808 est millimétrée, s’effaçant parfois pour laisser place aux nappes et loops entêtantes et donner de la puissance aux propos du rappeur avant de revenir en force sur le refrain comme dans NOUVEAU PLUG. Le beatmaker utilise fréquemment des courtes phrases de piano voire de simples notes espacées et syncopées qui accentuent le côté « film d’horreur » qui colle parfois si bien à la trap comme sur HO HISSE! en feat avec EDGE (allez écouter Without Warning de Metro Boomin si ce n’est pas encore fait !!).

« Si tu m’rackettes t’es refait jusqu’à Noël /
Dis-toi j’écris ça en mars »
(J’RECOMPTE)

La force d’Huntrill réside aussi (surtout ?) dans sa capacité à produire à presque chaque phrase une punchline qui nous fait soit froncer les sourcils, soit éclater de rire en poussant un « ah l’batard ». L’artiste capture ici l’essence-même de la trap : en réussissant à incarner au maximum la nonchalance au milieu d’un environnement violent et hostile, il confère une force indéniable à ses textes. Solitaire et sûr de lui, Huntrill fait de la désinvolture sa signature à chaque morceau, mais la simplicité de son écriture ne doit pas tromper l’auditeur : chaque phrase est étudiée et les placements millimétrés font mouche à chaque fois.

« J’respecte les timps qui vendent leurs ieps sur l’net / J’respecte pas les ienclis qui paient pour voir » (APPUIE-TETE)

« Tes poches ont besoin d’un BBL / Mes poches ont besoin d’une lipo » (FRRRSCHT.bip)

« J’préfère le cash à oit, tu me demandes et puis tu boudes / Du coup j’ai le bénéfice d’la veille, t’as le bénéfice du doute » (WHOLE LOTTA RACKsss)

Lorsque l’art de la rime semble parfois poussif chez certains, rapper semble ne lui demander aucun effort. A la manière d’un TH ou Veust (à qui il fait d’ailleurs référence dans J’RECOMPTE), Huntrill alterne entre des refrains parfaitement placés et des couplets où il se permet de jouer avec les temps. Sa technique l’amène souvent à la limite du parler  quitte à être hors temps, on a l’impression que le rappeur raconte une histoire à son pote. Mais c’est bien ça qui fait sa force : Huntrill retombe toujours dans les temps au moment où il faut. L’arrogance est un jeu à double-tranchant, qui peut rapidement rendre un rappeur ridicule si elle n’est pas concrétisée par une technique et une écriture irréprochable. En combinant écriture ultra-efficace et placements virtuoses sur des prods de haute qualité, le pari est réussi et la musique d’Huntrill ne peut que convaincre ses auditeurs. Après tout, la légende de Michael Jordan serait-elle la même s’il avait loupé son lancer-franc les yeux fermés face à Mutombo ?

Flow à la TH, punchlines à la Kaaris, goût des belles choses à la Alpha Wann : Huntrill combine le meilleur de ce qui se fait et ce qui s’est fait par le passé dans le rap, brouillant les frontières sonores aussi bien temporelles que nationales. Le plus hollandais des trappeurs Français est parvenu à construire sa propre identité et gagner la faveur des auditeurs en manque de rap, sans jamais se compromettre. Les cadors de la trap ont perdu leur cardio, et si c’était l’heure des rookies de monter au panier ?