crédit photo : Fifou

Jey Brownie, mélodies sur faits divers

La mélodie vit bien, les belles voix sont de sortie. Après l’époustouflant marathon de Tiakola en 2022, d’autres artistes talentueux émergent et vont assurément faire parler d’eux d’ici quelques mois. C’est le cas de Jey Brownie, sous les radars depuis 2019, mais qui prend une nouvelle envergure depuis peu.

Le Congolais d’origine vient de sortir son nouvel album, “Faits divers“, en collaboration avec Flem. Les deux, pourtant musicalement aux antipodes, ont su trouver une alchimie inédite pour proposer un disque réussi. Jey Brownie est venu nous en parler, et nous en dire davantage sur sa jeunesse, sa jeune carrière et ses collaborations.

Pour débuter, je voulais revenir sur ta jeunesse au Congo. Quel lien entretiens-tu avec la musique à cet âge-là ?

Au Congo, j’ai été choriste dans une église catholique pendant trois ans et demi. C’est à ce moment-là que je me suis vraiment intéressé à la musique. J’ai aussi réalisé que j’avais ce don d’avoir une belle voix. D’ailleurs, quand petit à petit, je commençais à me lasser de la chorale, les gens venaient me chercher chez moi pour que je vienne à l’église. Ma mère savait que j’avais une belle voix et voulait que j’en fasse profiter le groupe.  

Dans ma famille, mon père était musicien, il a notamment travaillé avec Koffi Olomidé. Il n’arrêtait pas de jouer de la guitare à la maison et ramenait toujours les cassettes de son groupe. Il y avait toujours beaucoup de musique chez moi, que ce soit Koffi, Werrason ou même Fally Ipupa.

As-tu eu l’occasion de revenir au Congo depuis que tu vis en France ?

Je suis arrivé en France à treize ans et demi, et je n’y suis jamais encore retourné. J’aimerai bien le faire dans les années qui arrivent, en tant qu’artiste cette fois. Ça me manque, je te cache pas mais d’abord, il me reste beaucoup de choses à accomplir ici. Je regarde beaucoup la scène congolaise, même si je n’ai pas encore réfléchi à collaborer avec un artiste en particulier. Peut-être que ça viendra naturellement à l’avenir !

A l’écoute du projet, on te sent particulièrement fier et heureux d’être Congolais, à l’image de cette phrase sur le titre « Fascinant » : « Mon côté zaïrois m’a aidé à ne pas dériver ». Peux-tu m’expliquer à quoi tu penses lorsque tu écris ces mots ?

Je sais d’où je viens, et que tout n’a pas été facile pour moi. En arrivant ici, j’ai eu l’opportunité de mettre mon talent en œuvre, malgré les mauvaises choses que j’ai pu rencontrer. Une fois que cette porte était ouverte, je me suis tenu à une certaine rigueur : bosser à fond et ne pas baisser les bras.

Qu’est ce qui t’a le plus marqué lorsque tu es arrivé en France à l’âge de treize ans ?

C’est une très bonne question ! Tu sais, l’histoire est tellement longue que si je raconte tout, on peut y passer des heures. En arrivant du Congo, j’ai été hébergé par mon tonton et je vivais avec mes cousins. Un d’eux avait un ordinateur et une Playstation alors qu’il n’avait que sept ou huit ans. Au bled, je travaillais déjà à mon âge et mon argent servait à payer l’entrée des salles de jeux. Ici, tout était à disposition dans la chambre de mes cousins, et je n’avais pas besoin de payer pour jouer. Si on parle de musique, au Congo, j’écoutais un peu de musique française, mais seulement ce qui passait à la télé. Boulbi de Booba est le seul morceau de rap français que j’avais écouté, par exemple. J’ai aussi découvert Michael Jackson, qui m’a donné envie de faire de la musique. J’écoutais ses albums en boucle pendant des jours et des jours. J’étais tellement à fond que je faisais du karaoké sur ses titres.

crédit photo : Fifou

A partir de quel moment as-tu commencé à pleinement t’investir dans la musique ?

A partir de 2015, quand j’étais encore au lycée. Un jour, encouragé par un ami, j’ai mis 20-30 euros pour deux heures de studio à Corbeil-Essonnes. J’ai enregistré un son afro, très nul (rires). Dans le train, on imaginait déjà à quoi allait ressembler le clip !

J’ai continué les cours jusqu’à l’obtention de mon CAP en 2017. Entre-temps, mon grand-cousin a vu une vidéo de moi sur Facebook. Il ne savait pas que je chantais, mais il a aimé le truc. Il a commencé à me manager puis à me produire. Aujourd’hui, il est toujours à mes côtés, on avance ensemble.  

Sur « Laptop », tu dis « J’ai fait trop d’efforts pour en rester là ». As-tu l’impression d’avoir mis du temps avant d’avoir réussi à capter l’attention du public ?

Quand j’ai décidé de me lancer en 2015, je faisais de la musique parce que j’aimais ça, tout simplement. Je n’avais pas forcément envie de percer à tout prix, même si j’avais cet objectif de me faire connaître et qu’on réalise que j’ai quelque chose de spécial. Depuis 2015, c’est forcément beaucoup de travail ; c’est pour cette raison que je parle « d’efforts ». Je sais pertinemment que tout ne se fait pas d’un coup et que tu peux traverser plein de choses avant d’y arriver. Peu importe les problèmes que j’aurai à l’avenir, je me rappellerai toujours que c’est possible de survivre et d’arriver à tes objectifs.

Personnellement, je te découvre en octobre 2021 avec « Rockstar » et, avec le recul, j’ai l’impression que c’est l’époque où tu t’ouvres à une nouvelle audience. Est-ce aussi ton ressenti ?

Non, pas forcément, je vois ça davantage avec le morceau Hennessy, sorti quelques années plus tôt. J’avais eu beaucoup de bons retours dessus, j’avais vu une vraie évolution. C’était un titre afrobeat, et le genre revenait en force à cette époque. Les gens ont peut-être aussi capté, à ce moment-là, que j’avais ce truc qui pouvait me faire durer à l’avenir. Là, ils ont commencé à me suivre vraiment.

En mars 2022, tu as sorti ton premier projet, EXORDE. Quel regard portes-tu dessus un an après ?

J’en suis très satisfait, les retours ont été énormes pour un premier projet. On a beaucoup travaillé dessus, même si je considère avoir encore davantage travaillé pour le projet qui sort aujourd’hui. Faits divers est comme une suite, je sens l’évolution au niveau de l’écriture et des mélodies.

Sur EXORDE, j’écrivais beaucoup de chez moi puisqu’en même temps, je cherchais des prods sur YouTube. Aujourd’hui, je n’ai pas forcément de rituel pour écrire, tout se fait à l’inspiration. Je suis davantage concentré au studio que chez moi, car tu peux toujours avoir la daronne qui vient, etc (rires).

cover de “Faits Divers” / crédit photo : Fifou

La différence majeure entre les deux projets, selon moi, se trouve dans les thématiques abordées. Alors que sur EXORDE, tu évoquais surtout les relations avec les femmes (avec beaucoup de références à la nuit), les sujets ont évolué sur Faits divers : ta famille, le Congo, ta carrière… Cette évolution s’est-elle fait de manière consciente et réfléchie ?

En réécoutant EXORDE, j’ai réalisé que je voulais aussi parler de l’amour en général. Pas seulement de l’amour entre deux personnes, comme j’avais fait sur ce projet. Je ne voulais pas me limiter, et c’est pour cette raison que je fais beaucoup de références à ma famille dans mes textes également.

Sur Décisif, tu dis « couleur ébène donc j’en fais deux fois plus ». Parles-tu spécifiquement de l’industrie musicale lorsque tu fais ce constat ?

Non, je ne pense pas à la musique quand je dis ça. En ce moment, je dirais même que les artistes qui cartonnent le plus viennent d’Afrique. On a Ninho, SDM, Tiakola, Aya Nakamura… Je parle davantage de la société en général. J’ai déjà subi des contrôles judiciaires alors que j’étais juste en train de prendre l’air en bas de chez moi. J’ai beaucoup voyagé et je t’assure que c’est pire dans d’autres pays, donc c’est tout ce racisme que j’ai envie d’évoquer dans mes morceaux.

Ta musique est très mélodique, c’est d’ailleurs l’une des principales caractéristiques lorsqu’il s’agit de te décrire. Comment l’inspiration te vient ? Comment savoir si tes toplines sont des mélodies à garder et à habiller de paroles ?

Je n’ai jamais pris de cours de chant, à part la chorale quand j’étais plus jeune. Les mélodies me viennent très naturellement, et d’ailleurs, je dirai que c’est très spirituel. Je ne fais même pas d’effort, quand ça vient et que je le sens, c’est que c’est la bonne ! Pour cet album, je ne préférais pas enregistrer mes mélodies en cabine tout de suite. Je préférais d’abord mettre toutes les toplines sur mon téléphone, pour les réécouter chez moi et en être vraiment sûr.

Ce nouvel album, Faits divers, est en collaboration avec Flem, qui produit l’intégralité des titres. De quelle manière en êtes-vous arrivés à l’envie de travailler ensemble sur un disque entier ?

C’est lui qui est venu vers moi. Il me connaissait depuis le morceau Hennessy, même si le son ne correspondait pas à sa direction musicale. D’ailleurs, c’est même Osirus Jack qui avait montré le son à Flem. Il a remarqué ma voix et s’est dit que notre alliance allait forcément mener à quelque chose d’intéressant musicalement. Flem avait envie de collaborer avec un chanteur, et à partir de là, il m’a contacté et m’a invité plusieurs fois en studio. Au début, j’étais un peu sceptique parce qu’il venait de sortir DRILL FR 4, c’est-à-dire un délire très sombre, très éloigné de ma mélancolie de chanteur. Au final, la première fois que je suis en studio avec lui, on fait le morceau Grizbi. En rentrant chez moi, j’ai réécouté et j’ai compris qu’une alchimie entre nos deux univers était en train de naître.

Toute l’équipe du 667 est derrière moi depuis longtemps, ça fait plaisir de voir que ces mecs t’encouragent. Par exemple, le jour où j’arrive au studio pour voir Flem, Freeze [Corleone] se lève, m’acclame et m’accueille, donc naturellement le feeling est super bien passé. Pour lui, c’était la première fois qu’il allait travailler avec un chanteur, et non un rappeur : il a directement accepté.  

Concrètement, comment avez-vous travaillé tous les deux en studio avec Flem ?

C’était des moments de partage entre nous, et j’ai vraiment pris du plaisir pendant. J’étais présent lorsqu’il composait, donc je pouvais lui faire part de mes idées. On partage deux univers différents, donc c’était important de trouver comment les allier. On a mis deux ans à construire le projet donc forcément, au départ, il a fallu tester des choses, les supprimer et en tester de nouvelles. Au final, tu me dis que tu aimes bien ; ça veut dire qu’avec Flem, on a fait du bon boulot !

A l’avenir, te vois-tu continuer à travailler sur des projets en duo comme ça ?

Oui, j’ai beaucoup aimé le partage d’idées et d’univers, c’est important. Mais, tout dépend de la relation que tu as avec la personne. Avec Flem, on s’est directement bien entendu certes, mais je n’ai pas l’obsession de faire uniquement des projets de ce type. Dans ma carrière, je vois ce projet comme une parenthèse : Flem m’a donné une vision des choses qui m’a plu, donc j’ai sauté sur l’occasion. Après, je n’ai pas pour objectif d’avancer tout le temps avec un seul beatmaker.

Si on avance sur les collaborations, on peut évoquer celle avec Tiakola sur Cadenacer. Comme toi, il impressionne le public par son sens de la mélodie [son premier album, sorti en 2022, est d’ailleurs intitulé Mélo]. Etait-ce naturel de l’inviter sur ton propre album ?

En 2017, j’enregistrais ma musique au studio de Wati B. A l’époque, lui était en groupe avec 4Keus et parfois, on se croisait en studio. On se connaissait déjà avant de travailler ensemble, et il me demandait toujours où j’en étais avec la musique. Au moment de construire l’album, j’ai directement pensé à lui.

Et enfin, dernier invité sur Faits divers, Guy2Bezbar. Le connaissais-tu d’avant aussi ?

Je ne le connaissais pas, son nom est venu en faisant l’album. Flem était en séminaire avec lui, et pendant une pause, il a mis les sons qu’on avait déjà fait tous les deux [pour Faits divers]. Guy a beaucoup aimé et a tout de suite voulu faire partie du projet. A ce moment-là, il nous restait un morceau à faire, sur lequel j’imaginais Gazo ou Guy. Donc, ça tombait super bien !

Fascinant est l’outro du projet, et concentre beaucoup d’émotions différentes qui forment un bilan équilibré et fidèle à la globalité du projet. Dans quel contexte l’as-tu écrit ?  

J’étais dans un mood très nostalgique, où j’ai surtout repensé à mes débuts. Certains ne croyaient pas en moi, au point de me le dire frontalement. Un jour, j’étais en studio avec un ingénieur du son qui m’a dit : « frérot, en France, personne ne va écouter ce que tu fais ». La prod du morceau, entre hi-hats drill et afro, m’a emporté au point de parler de tous mes ressentis, de ce que j’ai vécu.

Sur ce même morceau, tu dis « Dans la vie, tu ne peux pas réussir en hésitant / Faut pas se précipiter, fais les choses bien et ça viendra ». Était-ce une manière de prendre du recul sur ta carrière ?

J’ai surtout pensé à des moments où je me suis beaucoup remis en question. Tu vois, j’ai arrêté l’école pour me consacrer pleinement à la musique. Je suis allé voir mes parents pour leur dire que j’étais persuadé que j’allais réussir dans la musique, ou du moins, que la musique ferait partie de ma vie. Je pensais qu’ils allaient mal le prendre, mais pas du tout. Cette phrase-là particulièrement, elle vient tout simplement d’eux parce qu’ils voyaient que j’hésitais, que je n’étais pas sûr de moi.

As-tu déjà eu l’occasion de chanter sur scène, devant un public ?

Oui, et j’adore ça ! C’est bien beau d’être au studio, mais la scène sert aussi à montrer au public tout le travail que tu fournis. Et aussi, les gens voient vraiment la passion qui se dégage de toi. C’est là que l’on voit si tu es vraiment un artiste.

Pour finir, quelles sont les pépites que tu me conseilles d’écouter ?

Déjà, Genezio. Ensuite, je dirai Ms Tungi, c’est un frérot. En ce moment, j’écoute beaucoup Jim Legxacy, qui vient de Londres. Il est très chaud ! Et je pense aussi à 2KEY, qui vient de Pantin.

Jey Brownie sera en concert au Mans le 27 mai, dans le cadre de la Ginga Party (avec Allebou, SDM, Heezy Lee et Susanôo entre autres).