Jwles ou le rap hors du temps

Depuis quelques années, Jwles a décidé de suivre un rythme de sortie qui rendrait fou dans n’importe quel label. Celui d’un zin errant, nomade, insaisissable, dont le style n’appartient qu’à lui. Entre singles, feats, mini-EPs, le rappeur de Saint-Denis s’en est donné à cœur joie, avant de finalement sortir une mixtape, Le Zin & les Autres, le 18 novembre dernier, après 5 ans sans véritable projet long. Pendant ces 5 années, sa communauté de zins et de zines a pris de l’ampleur assez logiquement, grâce à une direction artistique léchée et un univers singulier. 

Un DMV flow assumé, un ton unique, des références multiples, une écriture très imagée et quelques barz bien trouvées… Voici ce que vient chercher le public d’un Jwles devenu l’une des nouvelles têtes à suivre sur les scènes de l’underground et du DMV flow françaises.  

Carte de visite efficace, Le Zin & les Autres devrait ravir les fans et convaincre ceux qui hésitent encore. 

“On fait du DMV comme à Washington”

Avant de sortir Le Zin & les Autres, Jwles s’est longtemps cherché. Ayant vécu aux Etats Unis de longues années, le rappeur a été matrixé par les rappeurs US. C’est donc en anglais qu’il a commencé le rap, avant de finalement trouver la parade pour rapper en français : le DMV Flow. 

Ce débit particulier, décrié par une partie du public rap, désigne une façon de poser ses rimes hors des temps habituels, ou overlap. C’est-à-dire avec des phases qui se chevauchent. Ce flow tire son origine des Etats-Unis, plus précisément des trois états dans lesquels il est apparu, le District of Columbia, le Maryland et la Virginie. Les initiales des trois régions forment son nom (DMV). 

Plus que poser overlap, le DMV impose aussi aux rappeurs d’enregistrer leur morceau ligne par ligne. C’est cette particularité qui a permis à Jwles de développer un rap très parlé.
Ses barz s’enchaînent avec un certain flegme, parfois presque dans un murmure. Et on peut facilement imaginer le rappeur de Saint-Denis poser une rime après l’autre dans un studio embrumé, à chaque fois que l’inspiration vient…. Avant de retourner s’affaler sur un canapé pour réfléchir aux prochaines lines. 

Dans le sous-sol rue du faubourg Saint-Martin, je trouve des vers je les enregistre un pas un –Stupéfait

Ce style unique tranche avec les 16 mesures écrites à l’avance, avec lesquelles la plupart des rappeurs débarquent en studio. 
Mais il permet aussi de raconter tout ce qui vous passe par la tête, de sortir d’un texte établi. Et comme ses flows qui s’affranchissent des normes, les lyrics de Jwles et de sa mixtape Le Zin & les Autres, ne ressemblent à ceux de personnes. 

Dans le fond, on y trouve un quotidien raconté simplement sans surjouer, subtilement mélangé à quelques phases d’introspection et à quelques piques à propos du fonctionnement de la société.

Je dis rien de fou, je fais une relation – Bonnes relation

“Elle me dit tu joues avec les mots tu es un esthète”

Si les phrases enregistrées overlap et le ton nonchalant de Jwles peuvent donner à ses textes une allure simple, ces derniers sont pourtant d’une densité complexe.
Au point qu’à La Pépite, on recommande d’ouvrir Genius et Google pour écouter le zin, comme vous pourriez le faire avec un Alpha Wann, sous peine de passer à côté de nombreux messages, sous-textes et références jwlesques. 

Il y a évidemment beaucoup de rap, mais aussi des références pop, de cinéma, de sport ou encore de politique…
Tout y passe dans un feu d’artifices de noms et de clins d’œil qui se mélangent avec le quotidien simple et les moments de vie presque banals de Jwles. Un paradoxe qui accentue encore le côté nonchalant, facile, presque blasé du rappeur. Pourtant, il le dit lui-même : “Le zin est blasé, précis dans la confection”.

Et la précision va très loin. Le rap de Jwles touche où il faut quand il faut avec des schémas de rimes qui ne trompent pas : ce bon zin rappe certes “pas dans les temps” (vraiment les détracteurs…..) mais il rappe très bien. Les oreilles des puristes seront satisfaites d’entendre des rimes rigoureuses et quelques multi-syllabiques qu’ils affectionnent. 

Certains passages rappellent même le style d’un Osirus Jack ou d’un Freeze Corleone, avec cet exercice de retomber 3 ou 4 fois sur le même mot ou son homonyme, en changeant son sens. Petit exemple pour que ce soit moins brumeux :  

Je peux te le garantir comme Denzel Washington
On fait du DMV comme à Washington
J’veux être le premier comme George Washington – 2001 

Mais ce n’est pas tout. Les punchlines sont aussi tranchantes que le sont les enchaînements de rimes. Tout en jeux de mots, mais aussi grâce à un lexique riche, des multiples références et une pincée d’autodérision parfois, Jwles arrive à trouver des images qui restent en tête. Et il le fait avec un certain humour.

On fume et on va vite comme les jamaïcains – Stupéfait

“Le zin pense et il fait son bla-bla” 

On le précisait en début d’article, avant le DMV, Jwles rappait avec un débit “normal”. Bien sûr, ce flow reste prépondérant dans sa musique, mais le réduire à l’overlap serait une belle erreur. Il est tout à fait capable de poser dans des temps classiques (on peut même l’entendre sur des morceaux récents).  

Pour Les Zins et les autres, Jwles alterne avec des morceaux de pure DMV comme Buée, tandis qu’il a choisi les temps que chérissent ses détracteurs, pour poser Audrey Tautou

Mais ce n’est pas tout. Sur certains titres il n’hésite pas à carrément utiliser les deux, avec un schéma couplet DMV / refrain dans les temps très efficace. C’est par exemple le cas sur Cher ou Tellement.  

Une façon pour notre Zin en chef d’amener une certaine alternance sur sa mixtape et de s’approprier les prods d’un 12 titres varié. 

“Maddy et le Zin c’est comme Timbaland et Magoo”

Les instrus justement, parlons-en. Niveau beatmaking, Jwles a pu s’appuyer sur les compositions de 5 de ces zins les plus fidèles : Blasé, Thxnk, V9, Kostral et surtout Mad Rey, présent sur la plupart des morceaux. Leur travail a permis au rappeur de Saint-Denis de poser sur des prods aussi diverses que le sont ses influences.

C’est Blasé qui vient pas Pi’erre Bourne – Bonnes Relations

De la house de Shit et Choc à la 2step de Navette en passant par la méchante trap de Bonnes Relations ou les influences Detroit rap de Travail… Le rappeur pose ainsi sur une myriade d’instrumentales différentes. Mais c’est surtout l’outro Elle veut partir loin, et ses sonorités Blues inspirées d’un morceau de Barry White (voir le superbe portrait de Gather), qui nous a impressionné. Dernier titre du projet, il vient achever de prouver que Jwles est capable de poser sur tout mais aussi qu’il ne veut s’astreindre à aucun genre. 

A la fois dense, éclectique, technique et flegmatique, la musique de Jwles est superbement condensée, compressée dans les 12 titres de Le Zin & les Autres.  

Un projet qui, loin des standards habituels, se pose comme une carte de visite sur laquelle on peut lireJ’suis pas Harry Styles, il y a pas qu’une direction.” 

Et on a déjà hâte de la suite.

Le Zin & les Autres, la dernière mixtape de Jwles, est disponible sur toutes les plateformes de streaming.