MAPESS : la brutalité froide du double 7

Aurait-on trouvé l’un des nouveaux visages cagoulés de la drill ? Peut-être MAPESS. Après un premier EP sorti en décembre 2021, DOUBLE 7, le rappeur vient de revenir le 17 juin dernier avec DOUBLE 7 Vol.2. Plus sombre, plus froide aussi, la musique de ce dernier projet fait davantage penser au tir précis et discret d’un silencieux, qu’à la salve d’un AK-47. Et pourtant MAPESS débite. Avec un seul sujet, son quotidien de dealer : type de drogue, tarifs, carottes, planques, règlements de compte…  Le drilleur du 77 présente le menu et si vous n’êtes pas un client qui paye à l’heure, La Pépite ne peut que vous conseiller l’exil sous peine de croiser un MT-07 ou une Clio 4 avec une fausse plaque. Ensuite vous verrez noir. Aussi noir que les démons qui tourmentent MAPESS

“MT-07, coup de gaz, ton corps sur le sol.” MT-07

MAPESS : gestion et mode d’emploi du rainté

Ces démons, on les ressent avec une violence glaciale dès le début de l’EP. MAPESS ne le cache pas :  “Quand j’écris un son il y a un djinn sur mon coussin” (COOL). Saccadé, rapide, lent, jouant avec les silences, les intonations de sa voix ou les add-libs à la fin de ses lines, MAPESS impressionne par la densité, la variété de ses flows. Et il le fait sans jamais hausser la voix, comme ce grand du quartier à qui le jeune guetteur va rendre des comptes.

D’ailleurs, plus que l’égotrip d’un bon dealer, son rap fait penser à une panoplie de règles nécessaires pour bien tenir son terrain, avec le ton sinistre et froid qui va bien. Des recommandations qu’on retrouve tout au long du projet. 

“Prend les affaires cash, brûle pas les étapes, si on t’avance paye avec le bénef” – MIKE TYSON

Soit pas con poto, faut placer tes fonds” – BLACK

Les mapessa pour justifier la violence

Le rappeur raconte ses journées sur le rainté, comme une obsession avec les vices qui s’imposent. Au sommet de ses tourments, il y a l’argent. C’est assez logique quand on connaît l’origine du pseudonyme de MAPESS. Diminutif de “mapessa” en swahili, une langue utilisée dans les Comores (terres d’origine du rappeur), “mapess” désigne l’argent. Pas question donc, de gâcher un gramme du bénef. Pour faire les comptes, MAPESS est aussi précis que le sont ses placements de flows. Et là encore, pas de sentiments. 

“Gorilla Glue à 25, jte le fais à 35, j’ai aucune pitié” – ARCHEUM

“On s’en bat les couilles de tes problèmes, il faut que tu payes” – MIKE TYSON

Ultra-agressif quand il s’agit de billets, le rappeur retranscrit cette violence en mimant les bruits d’arme à feu pour compléter ses flows tranchants, à l’image des drilleurs UK. Les “POOOH” et autre “PIOUM” retentissent ainsi avec de la réverbe à chaque nouvelle menace du rappeur. 

Il met aussi ses menaces en image. Que ce soit le direct de Mike Tyson, la réputation de Clarence Heatley (Célèbre meurtrier New-Yorkais des années 90), ou encore le film Belly qui raconte l’histoire de deux amis d’enfance aspirés par le trafic de rue, MAPESS utilise des références aussi dures que la violence de son quotidien. 

“On t’allume comme dans Heat, on t’allume comme dans Belly” – TKT PAS

Son écriture simple et directe correspond parfaitement au pragmatisme, au réalisme du dealer sur le terrain : aucune fioriture. On note quand même quelques fulgurances qui restent en tête avec un certain sens de la formule. 

On joue la coupe del mundo, batard, tes gars ils jouent la CAN – COOL

“Le terrain est glissant, on sait faire du ski” – BLACK

La douleur sous la cagoule

Si les lyrics présentent un MAPESS brutal à chaque morceau, le rappeur fait aussi preuve d’une certaine mélancolie. Comme le grand du quartier qui fait peur au petit guetteur, il est aussi celui qui prévient, qui anticipe les dangers de son quotidien. Celui d’une certaine solitude, d’une paranoïa permanente mais aussi de proches qui partent. C’est ce que le morceau BARBADE retranscrit particulièrement bien, avec un MAPESS qui avoue être un peu “nostalgique” ou paranoïaque au point de surveiller sa propre ombre.

J’éprouve des sentiments plutôt sombres, paranoïaque, je fais belek même à mon ombre ” – BARBADE

ZEPECK 2, la suite de l’histoire de ZEPECK (référence à Zé Pequeno criminel du film La Cité des Dieu), raconte la vie d’un jeune guetteur tombé en prison trahi par sa copine dans DOUBLE 7. Ce titre illustre également les dangers et les angoisses d’une vie de guetteur/dealer. Dans ZEPECK 2, on plonge dans la vie d’un homme qui replonge dans le deal après sa sortie de prison. Il sera finalement tué par les “tipeu” du quartier, après qu’il ait voulu prendre le terrain de ceux-ci.  

Dans l’esthétique de l’EP, BARBADE marque le pas entre l’aggresivité du début de l’EP et sa seconde partie où la tristesse prend le dessus. Un projet à l’image d’un opinel qui vous transperce, avec la surprise, la brutalité, la peur au moment du coup avant de laisser la place à une douleur aiguë, des cicatrices et des larmes. 

Des prods primordiales dans une esthétique violence / mélancolie

Plus que le fond, la forme drive ainsi la direction de DOUBLE 7 Vol.2. On y trouve des prods drill menaçantes et minimalistes comme celle de Black, d’autres inspirées de samples comme celle de COOL, samplé du titre It’s so hard de Big Pun.

Mais beaucoup d’instrus s’éloignent carrément de la drill pour aller vers d’autres sonorités. On peut citer le baile funk entraînant de MIKE TYSON ou le beat de TKT PAS, proches du rap marseillais.

Dans un premier temps, on trouve les beats les plus rythmés. Les prods les plus rythmées laissent d’abord de la latitude à MAPESS pour varier ses flows et étaler sa colère. Elles donnent ensuite le ton mélancolique de la seconde partie avec des morceaux plus lents (NIYA) ou des mélodies qui évoquent les tourments de MAPESS, avant même que celui-ci n’ait commencé à rapper (ZEPECK 2). 

Au milieu de cette dualité Violence / Nostalgie, deux peurs animent MAPESS : Dieu et les femmes. Ces dernières incarnent un frein, une distraction à son obsession pour rentabiliser sa drogue et ce depuis ses premiers freestyles. Dans Hassal 2 par exemple, il avertissait déjà : “Va dire à Cupidon qu’il rembarque son arc, je suis dans le guedro” . Et la mentalité n’a pas changé depuis. Le rappeur craint plus que tout d’avoir un enfant :T’as tout mis dans sa techa, maintenant tu supplies pour qu’elle avorte (COOL). Le refrain de HP met parfaitement en image les appréhensions du rappeur. 

“Elle veut le bronzage Punta Cana, elle croit que je vais faire le canard Kahba déconne moi je vais te carna ta carte ton compte tout est noté…” – HP

Sombre, tranchant DOUBLE 7 Vol.2 présente un MAPESS plus sinistre que sur son précédent projet. De sa cover, où le blanc glaçant de sa cagoule évoque déjà la brutalité dont il fait preuve dans ses textes, jusqu’à ses backs, la direction artistique du drilleur est plus encore précise. Exit les refrains auto-tunés, place au pragmatisme froid, à l’efficacité d’un Mapess armé pour shooter la drill française en pleine tête si celle-ci ne lui rend pas les bons comptes.

DOUBLE 7 Vol.2, le dernier EP de MAPESS, est disponibles sur les plateformes de streaming

Retrouvez notre dernière interview avec BALAFRÉ.