En cette fin de semaine, le soleil brille à Porte de la Chapelle. Il est midi lorsqu’Slkrack vient à notre rencontre. Alors que la rue s’anime, cet ours d’1m95, locksé et capuché, nous attire dans son antre, loin de de la rue et de son effervescence. Caché derrière une épicerie, le hall dans lequel le rappeur nous reçoit est à l’image de son rap : sombre et inquiétant. Mais heureusement, le rappeur du 18ème a choisi un coin plus lumineux afin de nous éclairer sur son parcours.
Pour La Pépite, il est revenu sur l’influence de son quartier dans son écriture, sur sa complicité avec Doums, mais surtout sur son projet “SL500” qui, sorti en mars dernier, fait de lui l’un des rookie les plus bouillants du drill jeu.
La Pépite : D’où vient ton blaze “Slkrack” ? Qu’est-ce qu’il signifie ?
Slkrack : Le “S” c’est la première lettre de mon deuxième prénom ! Mais le “L” et le “K” c’était pour “Le Kamer” parce que je suis Camerounais. Après, j’ai rajouté “krack” parce que c’est une dédicace à mon quartier. Tu connais, le crack et Porte de la Chapelle c’est une grande histoire…
P : Et “Juan Coca” ?
S : (Rires) Ca c’est des surnoms qu’on se donne quand on est petit ! Mon vrai prénom c’est Yohan donc c’est pas très loin de “Juan” ! Et puis “Coca” c’est pour rester dans le thème de la drogue t’as capté.
P : Ton projet s’appelle “SL500”, en référence au modèle de Mercedes Benz. Mais le nom que tu as donné à ton projet “SL500”, il découle aussi de ton blaze du coup ?
S : La SL500 pour moi ça représente la puissance et la vitesse. C’est un peu ce que j’essaye d’être dans la vie et ce que je veux incarner dans mes sons. Mais en vrai le nom “SL500” ça part d’un gars de mon quartier. Alors que tout le monde m’appelle “SL” lui il m’appelait “SL500 !”, “SL500!”. Finalement, c’est resté.
P : Ce projet tu l’as conçu plutôt comme une mixtape ou un album ?
S : A la base, on n’avait pas prévu de faire un projet aussi long. Même, je vais te dire, on n’avait pas prévu de sortir de projet du tout. J’ai sorti “Gestion” en avril 2020 et “Tué par un flic” en juin, qui avait tourné à mort sur Insta ! Mais on a fait une pause avec le Covid, alors je suis revenu en octobre en balançant “Patek” et trois semaines après on a lâché “Extendo”. On en a profité pour faire un petit passage à Mouv’ (radio musicale, ndlr).
C’est qu’à partir de là qu’on a prit la dynamique d’un EP. Mais je voulais pas mettre les sons que j’avais déjà sorti, je voulais que ce soit un vrai EP tout neuf. Au final, j’ai pensé que c’était mieux de les mettre puisque pleins de gens ne me connaissaient pas et allaient me découvrir avec ce projet. Du coup SL500 c’est pas vraiment une mixtape, c’est plutôt un “super-EP”.
P : Dans “018” tu dis “Nous, on n’a jamais fait du rap rentable / J’dis ça, c’est pas une fierté mais on l’fait, ça fait plaisir au quartier”. C’est important pour toi de parler pour les tiens d’abord avant de parler au plus grand nombre ?
S : Moi j’ai encore jamais pris un euro dans le rap ! Tu sais, j’ai des potes au quartier ils sont pas du tout branché internet tout ça ils savent pas ce que c’est Insta et ils mettent 0 snap à part quand ils partent en vacances tu vois. Mais les types m’appellent au tel du genre “Eh on m’a fait écouter un son à toi à la chicha ! T’es un tueur ! Vas-y envoie tes sons !”. Pourtant, je leur dis que c’est sur Spotify mais ils sont en mode “Je connais pas ces bails frère”. Les gars kiffent vraiment qu’un mec de chez eux fasse du son. Donc je m’en fous du nombre de vues, combien j’ai vendu, quels clips j’ai fait. C’est leurs réactions qui me font le plus plaisir. C’est pour eux que je le fais, ouais.
P : Dans “Patek” tu dis aussi “Il me faut un appart pas une Patek (du nom de la marque de montre de luxe Philippe Patek, ndlr)”. Pour toi il faut d’abord réussir avant de montrer sa réussite c’est ça ?
S : Gros quand je dis ça, c’est que pour de vrai il me faut un appart et pas une Patek ! (rires). Parce que pour l’instant je vis ici, chez la daronne. Donc acheter un appart c’est vraiment la première chose que je ferai lorsque j’aurai un gros billet entre les mains.
P : Le 18ème arrondissement est vraiment le personnage principal du projet. Comment était ton enfance ici ? Qu’est-ce qui représente le mieux ton quartier selon toi ? C’est quoi la mentalité ?
S : Mentalité sale ! Genre sale de ouf ! Je veux pas qu’on ait pitié de nous hein. Mais quand tu descends de chez toi et que les drogués sont partout dans la street tu grandis pas pareil qu’ailleurs. J’ai une image dans la tête : il y a des seringues sur le trottoir et moi je suis petit donc je sais pas ce que c’est. Donc j’en ramasse une et je la ramène à la daronne. Elle m’a d-é-t-r-u-i-t ! (rires). Mais quand t’es petit tu te rends pas compte. Ici c’est sale pour de vrai ! Carrément quand je parlais à des meufs je préférai leur dire que j’habitais à Saint-Denis (rires). L’image qu’ont les gens du 18ème, elle est réelle, ils se trompent pas. C’est ça qu’on vit.
P: T’es quand même fier de vivre ici ?
S : Bien sûr que je suis fier ! Regarde comment je crie “18” dans tous mes sons ! (rires). Et l’esprit du 18 il se ressent aussi dans mes feats puisqu’il y a pratiquement que des mecs de chez moi sur le projet: Junior Bvndo, Georgio, Doums ou mon reuf Chiizi, même s’il vient de Clichy. Pour moi, c’était important de les avoir sur “SL500”.
P: Pourtant, il y en a un qui ne vient pas du 18, c’est La F qui est lyonnais !
S : La F c’est mon reuf de ouf ! Quand j’y pense, il commence à être loin dans son truc donc il avait pas besoin de me donner de la force. Mais il l’a fait quand même. Et on s’est connecté super vite : c’est parti d’un sondage que j’avais fait sur Insta en mode “Avec qui vous voulez que je feat ?”. La F est revenu hyper souvent parmi les réponses.
Du coup j’ai guetté ce qu’il faisait et j’ai kiffé ! On s’est dm et on s’est capté très rapidement dans le studio des Tha Trickaz à Paname. On a bouclé le son en quelques heures. Grosse histoire d’ailleurs ! On devait le clipper deux, trois semaines après mais j’avais oublié de relancer La F. Carrément j’allais faire ma vidéo tout seul ! (rires). Alors qu’on devait le clipper un samedi, le jeudi d’avant mon gars Bayass va chez les Tha Trickaz parce qu’il devait leur rendre une Game Boy qu’il avait utilisé pour un son. C’est pas il croise La F au studio et il lui dit “Lourd, vous allez clipper ‘Cru’ tout ça”. La F il répond “Quoi ? Mais je suis pas au courant moi !”. Il m’appelle direct en mode “Eh mais toi t’es un fou tu préviens pas !” (rires).
Alors, on se capte samedi comme prévu. Sauf qu’on est en février. Comment il faisait froid ! (rires). Le terrain dans la vidéo est assez haut donc je les ai fait monter, lui et son équipe, sur une butte dans la neige en escaladant des grillages… Un délire ! Non, La F c’est vraiment mon gars, il m’appelle quand il veut.
P : En parlant de froid, l’ambiance de “Porte de la Chapelle” est vraiment glaciale pour le coup. C’est dû à ce que tu racontes mais aussi à la prod’ de Flem, lequel reste très discret alors qu’il est l’architecte de La Menace Fantôme de Freeze Corleone, qui a fait beaucoup de bruit l’année dernière. C’est comment de bosser avec lui ?
S : Déjà, faut savoir que “Porte de la Chapelle” je l’ai enregistré le soir en sortant du clip d’“Extendo”. J’étais dans un mood archi sombre ! J’arrive au studio et des gens du 667 sont là avec Flem. Moi, fou comme je suis, je savais même pas qui c’était ! (rires). Il me demande dans quel délire je suis, sur quoi je voudrais poser tout ça.
A ce moment-là, Fivio Foreign avait teasé un son de ouf sur les réseaux ! Je câblais tellement sur la prod que j’ai dit à Flem : “c’est ça que je veux mon pote !”. Je lui ai dit que je voulais des violons. Il me sort ça le soir même ! C’était tellement sale que j’ai posé le premier couplet et le refrain en moins d’une heure. Mais le deuxième couplet je l’ai enregistré en février. C’est mon préféré d’ailleurs car je sais que je suis rentré énervé dessus ! En tout cas, Flem c’est un gars tranquille hein, il roule son oinj, il a son soda, bref il cuisine bien.
P : Avec “Tué par un flic” tu parles des violences policières. Pourquoi c’était important pour toi de parler de ce sujet ? T’as vécu une mauvaise expérience toi personnellement ?
S : Bah j’ai déjà eu des ennuis avec les keufs tu connais. Mais même si j’ai jamais vécu de grosses dingueries, c’est des choses qui arrivent tous les jours. C’est pas normal. Je suis pas un rappeur “conscient” mais c’est simplement une injustice dont j’avais envie de parler. C’est sorti tout seul.
P : Néanmoins, le morceau traduit surtout l’omniprésence de la mort puisqu’en plus de la police, tu ajoutes que tu peux te faire tuer par un “frère” ou un “jaloux”. La mort c’est quelque chose qui te fait particulièrement peur ?
S : J’ai pas vraiment peur de la mort mais j’y pense évidemment. Ça peut arriver à n’importe quel moment. Hier, mon cousin m’a raconté qu’un de ses potes s’était fait écrasé par un bus. Véridique ! Ça me rappelle qu’il faut absolument laisser quelque chose avant de partir.
P : A part ça, c’est quoi tes activités en dehors du rap ?
S : Des fois, dans le hall je sors la barre et je soulève crari (rires). Mais je t’avoue depuis un an c’est le rap et que le rap. J’ai trop d’idées ! J’ai tellement la dalle qu’en ce moment je casse grave la tête à Doums (rires), je lui fais péter les plombs ! Dès que j’l’appelle il est en mode : “Toi, commence pas à me rendre fou !”.
P : Oui effectivement, depuis l’année dernière t’es devenu le protégé de Doums (L’Entourage, ndlr). Comment tu l’as rencontré ?
S : En vrai, c’est trop bizarre ! Parce que lui c’est un gars du 9ème, à côté du 18. Et comme nos quartiers sont collés on avait un tas de gens en commun genre une dinguerie ! Mais on s’était jamais vu genre vraiment. Le big Plug dans l’histoire c’est mon gars Hache-P, c’est lui qui m’a présenté Doums. Hache-P je le connais depuis, t’as peur ! Mon cousin, Loka (ancien membre de la MZ, ndlr) vivait dans son quartier, dans le 13, donc on se connectait tous ensemble.
P : Quand est-ce que t’as commencé à rapper ? Qu’est-ce qui t’as donné envie de t’y frotter ?
S : A la base je rappais pas mais j’étais avec un pote à moi qui rappait déjà un peu au quartier quand on avait 17, 18 ans. Comme j’étais tous les jours avec lui, un jour il m’a proposé de faire un son et puis on m’a dit que je rappais bien donc j’ai continué. Mais c’est seulement depuis l’année dernière que j’ai commencé à prendre ça au sérieux.
P : Pas avant ?
S : Non pendant quelque temps j’avais arrêté le rap parce que je suis parti en Angleterre pour les études. Dans le quartier on aime aller à Londres et tous dans le même secteur donc j’avais des potes et de la famille là-bas déjà. Finalement, je me suis jamais inscrit ! (rires) Mais j’ai vécu un peu là-bas en faisant les carnavals avant de rentrer début 2019.
P : Avoir vécu à Londres ça a changé ta manière de faire du son ? C’est en allant là-bas que t’as eu envie de te mettre à faire de la drill ?
S : Un peu, après comme je t’ai dit, je faisais pas de rap à ce moment-là. Mais par contre j’écoutais beaucoup ce qui se faisait là-bas, c’est sûr ! Surtout des gars comme MoStack, J Hus ou Kojo Funds. La scène anglaise est solide ! Mais en fait j’ai capté que c’était mieux d’écouter de la musique quand t’en fais pas. Ca t’évite d’être matrixé en mode à analyser tous les sons genre “Ah là il aurait dû rajouter ça!”, “Moi j’aurais pas fais ça comme ça”, tu deviens fou après ! Ça m’a permis de me poser et d’aborder le truc plus sereinement. Après j’écoutais toujours ce qui se faisait chez moi surtout mes gars Hache-P, Chiizi et Bayass.
A propos de la drill, il y en avait en France avant que je parte mais c’était pas comme à Londres. Là-bas je me suis buté à Digdat et Krept & Konan par exemple. Donc quand je suis revenu et que j’ai vu que ça pétait, j’ai compris que c’était le bon moment pour en faire.
P : Tu te vois essentiellement comme un drilleur ?
S : Au départ, c’est toi qui donnes ce que t’as à donner. Ensuite, c’est les gens qui te définissent et qui te mettent dans des cases. Moi on m’a défini comme drilleur : j’aime bien, j’adore kicker c’est normal. Mais j’ai d’autres moods aussi, comme “Tué par un flic” ou “Location” par exemple. C’est des sons dans lesquels ma voix est plus légère… Nan j’avoue je suis un artiste drill en fait ! (rires).
P : Et qu’est-ce que tu penses du paysage drill en France actuellement ?
S : Lourd hein ! Après moi, à chaque fois que Doums et Chiizi me parlent de certains gars, je les connais pas la plupart du temps. Pour que je t’écoute, il faut que ta musique vienne à moi. Sinon je vais jamais t’écouter. Moi je suis pas un “chercheur”. C’est seulement si j’entends beaucoup ton nom ou qu’un de tes sons m’a frappé que je vais faire l’effort. Mais j’ai pas le temps en ce moment. Je préfère me concentrer sur mon truc.
P : Mais du coup tu tapes personne en ce moment ?
S : Si ! T’es fou ! Ça s’entend pas mais j’écoute fort Lil Durk ! J’ai grave accroché avec lui, il a un truc en plus que les autres de la vague de Chicago n’ont pas. Son auto-tune est spéciale, tu ressens de la peine et de la souffrance dans sa voix. Son dernier album solo The Voice pour moi ça a été une grosse baffe. Même celui avec Lil Baby là, comment je le frappe de ouf !
P: Justement, “Location” est très inspiré du titre éponyme de Dave en collaboration avec Burna Boy et plus largement des scènes anglaises et nigérianes. Tu pourrais feater avec un artiste uk ou afro ?
S : Carrément ! J’aimerais beaucoup faire un crossover avec Haile du groupe WSTRN. Ce type est beaucoup trop chaud, il chante bien à mort ! Et puis je me reconnais en lui, rien qu’avec ses longues dreads déjà (rires). Ouais on va essayer d’organiser ça.
P : Ton dernier EP s’appelle “Merci”. Qui est-ce que tu remercies ? Envers qui t’es reconnaissant ?
S : Au début, je voulais rien sortir pour me concentrer sur le projet que j’allais sortir à la rentrée. Mais je me suis dit que j’allais faire plaisir aux gens qui me suivent donc j’ai balancé ça. Et “Merci” ça vient d’un délire qui est parti très loin sur Twitter. Parce que lorsque Doums a sorti son projet (Pilot3, nldr), j’ai dit aux gens de me remercier parce que c’est moi qui ai demandé à Doums de mettre le refrain de Ken (Nekfeu, ndlr). J’avais lâché ça pour rire mais j’ai vu des “merci” de partout ! Et quand j’ai commencé à inventer n’importe quoi comme le fait que j’ai pris Doums en photo pour la pochette, les gens continuaient à me dire “merci” (rires). Donc avec ce projet c’est moi qui les remercie pour la force qu’ils m’ont donnée.
P: Dans le premier son “Black Queen” tu dis “T’es pas belle pour une renoie, t’es belle tout court.” Cette ode à la beauté et à la fierté noire, elle te tenait à cœur ?
S : Bah ouais ! Bon par rapport à ce que je fais d’habitude, le son il surprend c’est sûr. Mais ma mère c’est une renoie. Mes soeurs sont des renoies. Les renoies sont fraîches ! (rires). On est fier d’elles et il faut le dire ! Dans le rap on le dit pas assez je trouve.
P : Avec cet EP, tu prends d’ailleurs un virage un peu plus afro-love / afro-fusion. C’est une direction que tu veux poursuivre ?
S : En fait ça montre que je sais le faire. Mais c’est qu’une parenthèse, c’était juste quelques sons pour l’été. Je suis déjà passé à autre chose car on vient de revenir avec “Hazi Life #1” là. Les #2 et #3 sont déjà prêts et on va bientôt les clipper, même si le #3 est tellement lourd que j’hésite à le garder et le retravailler pour un projet. En tout cas, pour le moment, je reste focus sur mes freestyles.
P : Dans le refrain de “018” tu dis “On sait très bien que la route est longue”. Pourquoi est-elle si longue ? Qu’est-ce que t’espères trouver à la fin du voyage ?
S: Tu sais, nous, les rappeurs de Paname on se connaît tous. Y en a plein qui ont percé. Y en a aussi qui rappent depuis très longtemps et ils mettent plus de temps à exploser. Mais en réalité, la majorité n’explose jamais ! Je vais te dire : l’objectif c’est d’être libre ! Des fois j’ai pas envie de clipper ou de communiquer sur mes sons h24, c’est fatiguant. Donc la réussite c’est quand t’arrives à créer une hype solide autour de toi de sorte à ce que, quand t’es pas là, ta musique continue à être consommée par des gens et que ces gens soient au rendez-vous lorsque tu sors un truc. Être écouté, c’est ça le but ultime.
P: Et l’appart aussi.
S: Et l’appart à moooort !!!!!! (rires)
Le projet SL500 d’Slkrack est disponible sur toutes les plateformes de streaming ainsi que son dernier EP Merci.
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