A l’occasion d’un entretien avec Tuerie, nous avons pu discuter de son dernier EP, Bleu Gospel
Tuerie est un homme riche. Riche de vécu et d’expériences d’abord, de son arrivée en France, de la violence de son père, de la force et l’amour de sa mère, de la naissance de son enfant ou de ses premiers freestyles, le rappeur a su forger sa personnalité, en se nourrissant de ce parcours et en combattant ses peurs pour en tirer une meilleure version de lui-même.
Ce cheminement s’est achevé avec la sortie d’un EP, Bleu Gospel, aussi riche que l’est Tuerie. Un projet bourré d’influences musicales diverses, entre variété et Soul, entre Drake, Disiz et Yves Montand. À la fois intime, triste, noir mais aussi lumineux, Bleu Gospel représente avec fidélité, le parcours sinueux et poignant de Tuerie ainsi que les nuances multiples de son bleu, de sa personnalité. En vacances après la sortie de son EP, il revient sur la conception de ce projet et sur sa musique avec La Pépite.

La Pépite : Comment tu vas, Comment tu te sens pendant tes vacances ?
Tuerie : Ça va, mais bizarrement, les vacances ça me déprime un peu. J’ai l’impression de perdre du temps. Mais bon, j’en avais besoin là ! Je viens quand même d’envoyer la moitié de ma vie sur 30 minutes.
P : C’est ce qui nous a frappé lorsqu’on a écouté Bleu Gospel. On a l’impression que c’est le projet d’une vie, quelque chose de nécessaire, comme une sorte de thérapie en fait. Tu en avais besoin ?
T: C’est totalement ça, c’est totalement thérapeutique. À la base, je voulais une carte d’identité sonore et visuelle. Quand tu veux montrer ce que tu sais faire, avant tu dis bonjour, tu présentes ton background comme dirait le frérot DJ Snake ! Mais c’était quand même un projet pour moi, avant tout.
Quand j’attrape mon deal, il y a deux ans, je suis en situation d’urgence. Il faut vraiment que je fasse quelque chose de qualitatif. En sachant ça, il me restait juste à raconter mon histoire, parce que c’est le truc le plus sincère et je pense que quand quelque chose est bien raconté, ça touche le cœur des gens.
Tu vois, je fais de la “dos au mur musique”. J’ai remarqué qu’à chaque fois que le public s’est mangé mon son, c’était vraiment à des moments où j’avais la haine, ou bien dans des situations compliquées. Là on était en plein dedans : soit je rappais avec mes tripes et je mettais mes dernières thunes dans la musique, soit j’allais faire un job qui ne me plaît pas, derrière un bureau ou dans un fast-food. Avec la venue de mon petit en plus, je me suis dit, “mais putain il faut absolument que tu montres au gosse comment protéger un rêve sinon tu ne seras pas légitime pour lui dire de continuer quand lui-même il va avoir un coup de mou plus tard”.
Je savais que le projet était authentique quand j’ai terminé donc j’étais pratiquement sûr de mon product, mais je ne savais pas quel effet ça allait me faire, je ne savais pas si les gens allaient comprendre le délire… C’étaient les grosses interrogations. Je me suis aussi rendu compte que j’avais trop de poids sur les épaules et j’avais envie qu’un maximum de personnes m’aide pour porter mon passé assez lourd. Donc c’est ça, thérapeutique, c’est vraiment le mot.
P : Sur cet EP, il y a une cohérence, un fil conducteur, tu te livres… Et même si c’est court, c’est très dense comme projet. En fait ça a plus ou moins les caractéristiques d’un album non ? Pourquoi l’EP et pas un album finalement ?
T : Un EP parce que les gens ont l’habitude d’appeler ça EP et que le format est juste court. Au final peu importe la manière dont on appelait ça, un EP, un album, un maxi… J’en avais rien a foutre, il fallait juste que je raconte mon histoire et c’était ça le plus important. Pour moi, ce projet a la même valeur qu’un premier album.
Il m’a fallu la moitié d’une vie pour faire ce projet là
P : Il y a cette dualité petit Tuerie / grand Tuerie tout au long de l’EP, tu parles de tes doutes, de ton père, ta mère de ton enfant aussi… On dirait que tu refais le film de ta vie. C’est assez profond, et ça l’est aussi dans l’interprétation avec un ensemble musical qui s’accorde à ce que tu racontes. Combien de temps tu as pris pour réaliser tout ce travail, pour mettre tout ça en ordre ?
T : En réalité, il m’a fallu la moitié d’une vie pour faire ce projet-là. Je pourrais te dire grossièrement que ça m’a pris 2 ans et demi, parce que c’est à ce moment que j’attrape mon deal et je me dis que je vais pouvoir sortir quelque chose dans des conditions beaucoup plus cools que d’habitude.
Mais en réalité, il y a des morceaux comme Tiroir Bleu que j’ai en tête depuis que j’ai 13 ou 14 ans. C’est à dire que je savais qu’à un moment ça allait sortir, je le sais depuis que je suis petit. Après, il y a aussi des choses que j’ai vécues plus récemment, mais le projet est aussi bourré de nostalgie. Donc on peut dire que c’est un truc que j’écris depuis toujours. J’attendais peut-être que les planètes s’alignent pour raconter tout ça. Finalement, c’est arrivé et quel alignement mec, quel alignement.
P : Justement, tu cites Tiroir Bleu, l’un des morceaux les plus frappants de l’EP. Un son à fleur de peau, très personnel, très violent aussi avec des changements de prod, des changements de voix… Tu peux expliquer comment on écrit, on pense, on compose un morceau comme ça ?
T : Alors, c’est vraiment fou. La story commence avec mon gars Ryan Koffi. À l’époque, il travaille beaucoup avec Luidji. On se rencontre plusieurs fois et je lui dis “Bon Ryan, envoie des prods s’il te plait” et il me répond “Ouais t’inquiète, t’inquiète !”, mais le mec ne m’envoie rien ! Moi je ne comprends pas, je commence à être vexé. Et puis vient ce fameux freestyle chez Skyrock…
P : Bien sur on se souvient de la phase sur les ligaments d’Abou Diaby !
T : Exactement (rires) ! Le freestyle ligamenteux ! Quand Ryan voit ça, il me dit “Mec en fait c’est trop, je ne connaissais tout simplement pas ta musique, je ne savais pas où tu allais emmener les prods, c’est pour ça que j’ai dormi.” Et là, il m’envoie le pack complet, le super pack ! Moi, je suis tellement revanchard que je me dis qu’au lieu de lui prendre une seule prod, je vais lui en prendre trois juste pour un track, et aussi pour l’emmerder un peu (rires). Et puis blague à part, le choix des trois instrus différentes, c’était aussi parce que je voulais ces changements de rythme dans le morceau. J’ai horreur de la musique chronophage et linéaire, quand tu écoutes un truc et que tu as l’impression de perdre ton temps.
P : C’est vrai qu’il y a beaucoup de relief dans ce que tu proposes.
T : C’est ça. Je voulais ce relief. Par contre pour la conception du son ça a été très vite, parce, comme je te l’ai dis, c’est quelque chose qui tournait dans mon esprit depuis longtemps. Donc il fallait simplement verbaliser, mettre de l’ordre dans cet espèce de puzzle que j’avais dans la tête. Donc je pose le morceau assez rapidement. La première partie, je la fais en 30 minutes, la seconde en 15-20 minutes et la dernière c’était en impro, je faisais des boucles avec l’ingénieur du son (Alexandre Bouillet). En fait, ça a été l’un des morceaux les plus instinctifs de ma vie. C’est le genre de son… Tu sais que tu n’es pas au contrôle, il se passe un truc. Il y a des tracks comme ça qui sont trop fluides pour que ce ne soit que toi, il y avait autre chose.
P : Si peu de temps pour un morceau aussi dense ?!
T : Oui ! Et l’histoire, c’est que j’arrive en studio, mes gars savent que j’ai session. Je les préviens : “Là je vais faire un truc perso donc foutez pas le bordel, venez pas en masse au studio”. Et quand j’arrive, avant même que j’entre dans la cabine de l’ingé, il y a déjà trois filles que je ne connais pas, c’est la fête, les gars ne m’ont pas écouté… (rires). J’essaye quand même de faire mon truc sauf qu’à chaque fois que j’ai le retour cabine de l’ingé, j’entends les gens faire la fête alors que j’essaie de raconter un passage à tabac de ouf !
À ce moment, il n’y avait pas les imitations, les changements de voix parce que j’étais trop pudique pour le faire dans ces conditions. Pourtant le Storytelling, c’est quelque chose que je maîtrise. Il y a des artistes comme Disiz qui ont ce style, ce truc pour interpréter des personnages dans leur son et c’est un style que j’écoutais, que j’appréciais beaucoup petit. Très tôt dans ma musique je m’y suis essayé.
Donc j’aurais pu poser avec les voix qu’on entend sur la version finale, mais c’était trop le bordel. Du coup, j’ai foutu tout le monde dehors ! À partir de là, ça a été très vite. Quand j’ai fini le morceau, j’ai rappelé tout le monde (ils attendaient dehors), même les filles que je ne connaissais pas pour leur faire écouter. Ça a été le choc pour eux : les filles en pleurs, mes gars pas bien, j’ai vu les changements d’humeur qu’il y a eu sur leur visage. Il y a des moments où ils ont dansé, d’autres où ils se sont sentis mal, d’autres encore où ils ont été émus, ils ont aussi souri… C’est en voyant toutes ces réactions que j’ai compris que je tenais quelque chose de spécial. Mais aujourd’hui je raconte ça, j’ai posé Tiroir Bleu il y a 3 ans, il y a un moment déjà !
P : Une question sur le titre du projet, Bleu Gospel. Le gospel c’est quelque chose de symbolique pour la culture noire. Une identité importante pour toi, tu l’évoque beaucoup dans l’EP. Mais pourquoi un gospel bleu ? Que représente cette couleur pour toi ?
T : Pour moi le bleu raconte plusieurs choses. C’est la couleur de la douleur. Et le style musical du Blues, c’est celui des larmes et de la nostalgie. Il y a aussi cette profondeur dans le bleu et c’est une couleur d’accalmie et de guérison. Elle a des significations multiples. J’ai un ami qui m’a expliqué pourquoi sa couleur préférée est le bleu.
C’est quelqu’un qui a peur des orages et des éclairs depuis la petite enfance. En fait, cette personne m’expliquait que lorsque le ciel est tout bleu ça lui indiquait qu’il n’y aura pas de turbulences et c’est pour ça que c’est sa couleur préférée. Je pense que dans un certain sens, le bleu représente cet ensemble pour moi. J’avais besoin d’avoir mon propre bleu qui est à la fois un concentré de peur et une quête d’accalmie. Le tout regroupé dans une couleur, c’est comme un cycle pour moi.
P : Il y a pas mal de personnes qui t’ont découvert avec cet EP. Pourtant ça tranche plus ou moins avec ce que tu faisais avant, une musique de kickeur, de vanneur. Quand on écoute des morceaux comme Silence ou la seconde partie de Le givre et le vent, il y a des influences très variées, parfois gospel, parfois variété, parfois RnB… Est-ce que c’était un défi pour toi de t’essayer à tous ces styles ?
Tuerie : En réalité ce n’est pas un défi, mais c’est vraiment des trucs de rappeur à la con, d’avoir peur de ça. Encore une fois, on parlait de la couleur bleu, il fallait mettre toutes les touches de cette couleur, de mon bleue, dans l’EP et c’est dans mon ADN de chanter. Je n’écoute pas du rap H-24, j’aime aussi la variété, le RnB, la soul, la musique alternative… À partir de ce moment-là, tu comprends pourquoi ma musique a autant de relief. Je ne voulais absolument rien m’interdire parce que le but c’était cette sincérité, cette carte d’identité sonore, de dire au gens “Ça aussi c’est en moi”. Je ne veux pas de carcan musical, aucune limite, je suis toujours en quête de liberté artistique.
P : On ressentait déjà cette liberté avec les 4 freestyles que tu a sortis avant l’EP. Il y a 4 moods assez différents sur chacun des morceaux. Tu n’avais pas peur de dérouter le public ?
T : Le but de ces freestyles, c’était de montrer ces différentes facettes de moi, de préparer le terrain avant Bleu Gospel. Je voulais que les gens ne sachent plus à quoi s’attendre pour le projet, donc j’ai enchaîné les contre-pieds. Le premier freestyle Angèle, c’était un truc un peu bête et méchant, mais je savais que ça allait faire réagir, faire un peu de bruit. Ce n’est pas ce que je préfère, mais c’était un bon moyen d’accrocher le public, qu’on se dise “Mais il est fou lui, c’est quoi son délire ?”. Ensuite, j’ai envoyé Adèle qui est beaucoup plus dans l’introspection, puis Jorja, puis Aliyah qui sont encore d’autres moods.
P : Tu parles de liberté artistique, c’est vrai que ton seul featuring est hors rap, c’est Greg’z, qui est présent sur Bouquet de Peur. Pourquoi c’était important pour toi de l’avoir sur ton projet ?
T : C’était un honneur de faire ce morceau avec un artiste comme Greg’Z. Pour moi, c’est tout simplement une légende, un roi sans couronne. C’est un mec que j’ai beaucoup écouté parce que c’était inévitable à l’époque de Trait d’union. Il a fait le refrain de Au bout de mes rêves, le morceau de Booba. Son groupe, Trait D’union, était mythique ! C’était le 1er teenage groupe noir en France. Ils ont commencé très tôt, c’était en quelque sorte des ovnis à l’époque des boys band. Ils ont fait beaucoup de bien à la musique noire en France.

P : On a évoqué ton éclectisme mais ton truc ça reste le rap. On le sent à fond dans l’EP. Il y a des passages très bien rappés, des piques un peu egotrip et des images fortes et drôles qui rendent ce que tu racontes plus digeste. C’est à dire que dans tes morceaux, tu racontes un vécu assez lourd mais grâce à ces images on écoute ça avec un petit sourire en coin…
T : Mais exactement ! C’est un truc plus fin qu’on ne le pense mais je ne veux jamais, jamais, malgré la difficulté de ma situation ou la dureté de ce que je raconte, que les gens me prennent en pitié. Je ne veux pas faire de la “miskine musique”. D’ailleurs, au final, la note finale de cet Ep est plutôt positive, il y a un espèce d’happy ending. Et j’ai aussi envie de motiver les gens, leur dire que oui, la route a été sinueuse, mais au final j’y arrive, je m’en sors. Et ce qui change de la musique que j’ai pu faire auparavant avec cet EP, c’est que ce côté image et vanne, je le mettais plus en valeur sur mes précédents morceaux. Ce truc un peu loufoque, déjanté pour faire sourire, disons qu’il représentait 80 % de mon son et au contraire, que je mettais 20 % d’introspection.
Là je me suis donné le courage d’inverser la vapeur. Ça a été ma plus grosse difficulté dans ma nouvelle manière de concevoir ma musique, en me livrant davantage, et en mettant ce côté léger, que les gens apprécient chez moi, sur la réserve. En fait, c’est plutôt devenu un outil qui m’a permis de faire passer des messages. Typiquement les commentaires que je reçois le plus par rapport à Bleu Gospel, c’est “Mec merci pour cet EP, mais je t’avouerai que quelque fois, je m’en suis voulu de sourire sur quelques phases et de bouger la tête, de danser sur des phases graves, mais t’as bien fait passer la pilule avec ces images décalées.” Et en fait c’est totalement fait pour ça, kiffe la musique et si ça te fait sourire aussi, c’est que j’ai réussi le pari.
J’ai toujours eu l’impression de devoir prouver, forcer le respect.
P : Tu as ce côté kickeur, freestyle et tu viens de Boulogne qui est un pôle du rap français. Il y a beaucoup d’anciens et de rappeurs très forts, très respectés, de légendes même, qui viennent de cette ville. Qu’est-ce que ça a changé pour toi de venir de cette école de rap ?
T : En fait ça joue sur le manque de médiocrité. Je viens d’une école ou mes grands sont de gros rappeurs, des mecs archi-respectés pour tout ce qu’ils ont laissé. Par exemple, Exs et Salif de Nysay, ce sont justement eux ces espèces de grands frères pour moi. J’étais très pudique avant de leur dire que je rap. En tout cas, j’étais pudique avec eux parce que pour nous, c’était le grand cru du rap français. Tu vois, le premier à écouter un de mes morceaux ça a été Danny Dan. Quand tu sors un truc et que tu sais que ça va passer par les oreilles de Mala, Booba, Brams (paix à son âme), de Salif, de Zoxea, de Dan… Tu ne peux vraiment pas faire de boulette , il y a cette douane à Boulogne.
P : C’est un peu comme passer un premier step, une première étape ?
T : C’est ça, mais en même temps la limite est fine parce que depuis que je suis gosse, je suis un peu un ovni à Boulogne. J’ai toujours eu le côté décalé dans une ville où la musique est plutôt sombre. Les images ne sont pas aussi lumineuses. Les gros rappeurs et les anciens de Boulogne, ce sont des gars qui ont décidé de faire leurs armes à l’époque où c’était Mobb Deep ! C’était du rap pour faire transpirer les murs. Et moi avec ma musique et les images un peu déjantées que j’y met, les gars écoutaient et ils disaient “ouais le gosse est fort mais.. On fait quoi en fait avec ça ?!” (rires).
J’exagère un peu mais l’idée est là. C’est-à-dire que ça faisait sourire mais ce n’est pas forcément dans l’ADN, dans les mœurs de la ville. Donc un de mes plus grands combats a été ça. De faire mon propre truc en venant de Boulbi.
Il y a plein de bébés Booba, de bébés Danny et c’est un modèle qui a très bien marché pour certains, mais ce n’était pas ce que je voulais faire. Du coup, j’ai toujours eu l’impression de devoir acheter ma liberté ou de devoir prouver, forcer le respect.
P : Ce côté identité propre, les influences hors rap, la direction artistique léchée qu’on retrouve dans ton son, ce sont des caractéristiques qu’il y a aussi chez les artistes de ton label, Foufoune Palace. Et pourtant chacun a son propre son, sa propre couleur, le rouge chez Luidji et le bleu chez toi par exemple. Comment tu expliques ça et concrètement qu’est-ce que vous vous apportez mutuellement chez la famille Foufoune Palace ?
T : Quand tu regardes les frères que tu as pu côtoyer, les gars que tu connais vraiment. Ils ont leur propre caractère, leur style, mais il va quand même y avoir ce truc commun qui fait que tu sens qu’ils sont du même clan. Ce sera parce qu’ils ont la même démarche ou parce qu’il y en a un qui vole des sapes de l’autre (rires). Chez Foufoune Palace, c’est ça en fait. On est des frères. Il y a énormément de créativité, beaucoup d’artistes qui se respectent, des influences communes aussi. Par exemple, toute notre adolescence, Luidji et moi, on étudiait des techniques de Drake ou certains albums qui nous ont choqué en même temps. Forcément à partir de ça, il peut y avoir cet ADN commun.
Donc le côté homogène, il est assez facile à expliquer mais en même temps le petit truc différent ça va simplement être nos histoires, notre vécu, nos environnements qui font notre propre personnalité. Ryan (Koffi) vient de Metz, Pee (Magnum) vient du 94, Luidji et moi on est des gosses du 92. Rien que ça, rend notre musique singulière par rapport à celle des autres alors qu’on est tous dans la famille Foufoune Palace. Les gens le remarquent aussi avec ces couleurs au final : Luidji c’est le rouge, moi c’est bleu, mais ce sont les couleurs d’une même palette.
P : On parle de couleur et d’image depuis tout à l’heure et justement, quand on t’écoute on voit quelque chose. Est-ce que tu prends en compte cette notion d’image quand tu fais ta musique ou ce sont tes visuels qui s’adaptent à ton son ?
T : Je ne me suis jamais dit “Putain ce morceau il faut que j’en fasse un film ou un clip”, lors de la conception, jamais. Il faut qu’on ressente des émotions, des énergies, il faut juste qu’il se passe un truc. C’est le point d’honneur qu’on privilégie Kedyi (qui a réalisé Bleu Gospel) et moi à la fois pour mon son et mon imagerie. Ensuite, avec Steven Norel, qui s’occupe de mes clips et mes visuels, ce qui est facile, c’est qu’on a une grosse sensibilité et on ne s’en cache pas. À ce niveau là on se sait. Le grand frère de Steven a une culture du cinéma incroyable, il a bouffé des cassettes et des cassettes vidéo, il a rasé des vidéos clubs. Et Steven a mangé toutes ces références-là.
On aime mettre les éléments communs de notre culture cinéma, dans notre imagerie. Du coup, dans les visuels tu peux retrouver un peu de Boyz n the Hood, des trucs liés à Terminator… Et tous ces codes là, tu les retrouves aussi chez Steven.
Mais c’est la musique avant tout. Il n’y a pas de calculs par rapport à l’image. Ce n’est qu’à partir du moment où on a le produit fini, la musique, qu’on se dit “Ah, on peut faire ça là-dessus”. Le but, quand je fais mon son, c’est que tu puisses avoir les images en fermant les yeux. Les clips viennent après.

P : Un mot sur ta cover maintenant, parce qu’on a trouvé qu’il y a beaucoup de parallèle avec la musique de l’EP. C’était quoi l’idée principale de ce visuel ?
T : L’idée principale est liée à mon vécu. Tout au long de l’EP, il y a cette dualité Petit Tuerie / Grand Tuerie qui illustre les moments où j’ai été face à mes choix. J’ai eu la chance de faire les bons. J’ai toujours été sur la corde, à la limite et tous les jeunes qu’on peut voir derrière moi, ce sont des petits que je connais de mon ancien travail dans le social.
Ce sont des jeunes que j’ai pu aider pendant mes 8 années de taff dans ce secteur et qui sont, ou ont été, sur la corde comme moi. Tu remarques qu’ils ont des traces de peinture bleue sur le corps. Dans mes clips, les personnages sont souvent peints de la tête au pieds, c’est une manière de montrer qu’eux ont fait les mauvais choix.
Ceux qui sont derrière moi sur la cover sont encore entre deux, à moitié peints, entre le bien et le mal, comme moi sur le projet au final. Ils sont dans la même situation d’urgence que moi avant la conception de l’EP, dans ce même dilemme bon/mauvais qui revient en permanence dans ma musique. C’est ce que j’ai voulu représenter sur la pochette.
Et puis la plupart des petits sur la cover, je les considère comme mes petits frères, j’ai partagé des trucs de fou avec eux ! Steven et moi, on croit très fort en ces histoires de “rien n’arrive par hasard”. On sait que s’ils sont sur la cover, c’est pour rendre le truc d’autant plus authentique, mettre la vraie énergie dans le visuel.
J’ai appris que le meilleur moyen de combattre ses peur, c’est de les épouser
P : C’est intéressant parce qu’il peut y avoir une autre interprétation de la cover qui ramène à Bouquet de peur le dernier morceau de l’EP et un morceau qui conclut bien le projet. Parce que finalement toute la trame de l’EP, c’est de dompter ses peurs pour aller de l’avant. On a eu l’impression que c’est cette image aussi que tu as voulu représenter avec cette pochette. On t’y retrouve au centre sous une sorte de halo, serein avec ces ombres derrière qui te touchent comme tes démons ou tes peurs…
T : C’est exactement ça. L’EP est thérapeutique et je suis en quête de guérison : j’ai appris que le meilleur moyen de combattre ses peurs, c’est de les épouser. C’est un process que j’ai adopté. C’est un peu comme le type qui a peur du vide qui se dit pour combattre sa phobie qu’il va faire du saut en parachute. Ce projet, c’était un peu ça pour moi, donc c’est une très bonne lecture de la pochette et c’est aussi quelque chose qu’on voulait mettre en avant avec mon équipe.
Il y a aussi ce halo qu’on voit, c’était aussi pour montrer la pureté du propos, des mots et cette sincérité qui me tient à cœur… En fait, il y a plusieurs clés de lecture dans cette pochette comme dans tout ce qu’on essaye de faire, que ce soit dans mes clips, dans mes morceaux ou dans les visuels. On veut que chacun puisse s’approprier notre univers.
P : Une dernière question, On a parlé de projet de vie et de thérapie même, tu t’es énormément livré. Tu n’as pas peur d’en avoir trop dit, de ne plus rien avoir à raconter ? Tu as une idée de la suite pour toi ?
T : Non, je pense même que j’ai encore le pied sur la pédale de frein. C’était le premier gros projet donc je ne pouvais pas me permettre de faire encore plus fou parce que je suis persuadé que les gens n’allaient pas forcément comprendre.
Maintenant que j’ai été poli, que j’ai dit bonjour, que j’ai annoncé que j’avais des galères, là je vais pouvoir vous parler franchement ! Le plan maintenant c’est juste de vivre des trucs pour pouvoir les raconter ensuite. Donc je ne m’en fais pas, je vais juste vivre un peu et ressortir un EP dans 5 ou 6 ans (rires). Pour être un peu plus sérieux, je sens cette pression arriver doucement, mais je ne veux pas que ça m’atteigne. Et j’espère que les gens ne m’en voudront pas. Pour la suite, je ne sais pas comment ça va se passer, si ça se trouve je vais revenir avec un truc plus drôle et plus léger, ou je pourrai faire un album commun avec Greg’z, je ne sais pas ! Mais ce qui est sûr, c’est que je ne vais me forcer pour personne.
Ce truc, ce mood, avec une amie on a appelé ça la théorie des galets. En lançant un galet, tu regardes ses ricochets, tu choisis de faire attention ou pas à la façon dont ça t’éclabousse, tu peux choisir d’en relancer un qui sera toujours différent. Tu ne fais jamais le même nombre de ricochets et tu as le choix d’en relancer. Moi, je ne sais pas combien de ricochets je ferai pour mon prochain galet, mais je veux juste qu’on me laisse lancer tranquillement.
Propos recueillis par Lucas Désirée
L’EP Bleu Gospel de Tuerie est disponible sur toutes les plateformes de streaming
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