Il était une fois, au coeur du 18e arrondissement, un personnage masqué du nom de Monkey D. Prenez garde à ne pas le confondre avec le héros du célèbre shönen “One Piece”.
Ce qui les rassemble? Une joie de vivre à toute épreuve, une détermination et un franc parler. Ce qui les distingue? L’un est réel, l’autre fictif. L’un rappe, l’autre préfère miser sur sa souplesse et son élasticité. Le premier ne sort jamais sans son masque made in 018, le second arbore fièrement un chapeau de paille. Pourtant ils portent le même nom.
Venu pour coucher les rois, Monkey D n’est pas seulement de passage dans le rap jeu. Depuis son premier clip “Griselda“, sorti en juin 2020, le rappeur du 18e arrondissement a multiplié les collaborations détonantes. Familiale avec Cashmire, amicale avec l’étoile montante du rap lyonnais, Kpri.
Ce vendredi 10 décembre, Monkey D surprend une fois de plus sur le titre “Tootatis“, où il jongle lyricalement avec le rappeur Dehmo, déjà confortablement installé sur la scène rap francophone.
La Pépite l’a rencontré bien avant ça, quelques mois plus tôt. À une période où les bonnets et les gants n’étaient pas encore des armes de survie. Dans un lieu qui n’est habituellement pas considéré comme touristique, tout comme son 18e arrondissement : un parking. Malgré tout, la visite valait incontestablement le détour.
MONKEY D. 018 vs MONKEY D. LUFFY
La Pépite : Tu pourrais m’expliquer un peu ton blaze, sans me spoiler One Piece? [Rires]
Monkey D : Monkey D c’est Luffy, le personnage principal de One Piece. J’aime bien sa mentale. C’est un mec qui a tout le temps le sourire et qui a peur de rien, c’est-à-dire que même s’il y a un danger il fonce ! Il va toujours trouver une manière d’atteindre son but, le One Piece.
P : T’as cette mentale aussi?
M : Ouais, j’veux le One Piece [Rires]
P : Dans One Piece, comme dans les shönen en général, le héros part de rien et parvient à son objectif à force de détermination. C’est ce type de parcours qui te parle?
M : Bien sûr, c’est ça le but.
P: Qu’est-ce-qui te rapproche le plus de Luffy ?
M: J’ai des longs bras comme lui, les cheveux aussi un peu ! J’ai toujours le sourire comme Luffy, j’rigole comme lui ! [Rires]
P: Et qu’est-ce-qui te différencie de lui alors?
M: Moi je suis réel, lui c’est un personnage !
P: Si tu pouvais choisir une qualité chez lui que t’aimerais avoir ?
M: Ses pouvoirs. Il a la main élastique, il peut attraper tout ce qu’il veut.
P: C’est le meilleur anime pour toi ?
M: Obligé ! Ça fait 40 ans qu’il existe. Tous les autres manga ont une fin et celui là il s’arrête pas!
P: Pour changer un peu d’univers, dans “Hunter x Hunter” tu serais quel personnage ?
M: Je suis Gon moi ! C’est comme Luffy, il a peur de rien. J’aime bien les personnages comme ça moi, Naruto c’est la même.
AVANCER FIÈREMENT EN ÉQUIPE
P: En juin dernier, on a pu découvrir ton premier titre “Griselda”. Avant ça qu’est-ce-que tu faisais, t’étais déjà un peu installé dans la musique ou pas vraiment ?
M: Avant ça j’étais en prison et je voyais mes frères Jackma et Cashmire sortir des sons, j’étais content pour eux parce que ça marchait. Ça me motivait et là j’ai commencé à me donner.
À ma sortie, je pensais que j’étais prêt mais je l’étais pas. Je savais écrire mais quand t’es en prison, t’es pas au courant des tendances comme tout le monde. Maintenant je connais les sorties, les vibes du moment. Même quand j’ai commencé avec la drill, je faisais de la trap sur de la drill. Je pensais que je drillais mais en fait non !
Voir mes potes réussir ça me donne envie de réussir. Il faut pas jalouser, s’ils en arrivent là, toi aussi tu peux le faire.
P: Voir tes potes plonger sérieusement dans la musique ça t’a donné envie aussi ?
M: J’aimais déjà beaucoup la musique de Booba à la Sexion d’Assaut. J’écoutais tout ça et j’avais envie de rapper mais quand j’ai vu mes potes s’y mettre, ça a été un tournant. Je suis leur premier fan donc dès que j’ai vu que ça marchait et que ça prenait, j’étais content!
Je suivais leur carrière à distance, je donnais de la force. Quand je vois mes potes réussir, je me dis “moi aussi je peux réussir”. C’est ça qu’il faut se dire, il faut pas jalouser. C’est un humain comme toi, s’il en arrive là, toi aussi tu peux le faire.
Crédits: Auxance Malga (@oxomalga)
GRISELDA, LA MADRINA
P: “Griselda” c’est le premier titre que t’as sorti et clippé ?
M: En mode Monkey D masqué, oui c’est le premier. Avant j’avais un autre blase. J’ai trouvé ce que je voulais faire et j’ai commencé à construire mon univers à partir de “Griselda“.
P: “Griselda” dans le folkore européen évoque une figure de femme patiente et obéissante. Chez toi c’est plutôt une référence à la Madrina, pourquoi ce choix là?
M: Parce que je regardais plein de séries, des reportages. Un jour je suis tombé sur Griselda Blanco et j’ai kiffé. La reine, la mentale d’un mec. Elle les fumait s’ils étaient pas contents et j’étais choqué de voir une meuf contrôler tout un cartel!
P: Elle a fait mieux que Pablo carrément ?
M: Ouais, mais pas mieux qu’El Chapo [Rires]
MONKEY D À LA MAIRIE DU 18E
P: Tes clips sont quasiment tous tournés dans le 18e?
M: “Griselda” a été tourné à Amsterdam et dans le 18e. A la base je devais le tourner qu’à Amsterdam mais moi je reste sectaire par rapport au 18e. Même si je tourne un clip ailleurs, il y aura toujours un bout de chez moi, ça me tient à coeur. C’est important pour moi que le 18e apparaisse visuellement dans ma musique.
P: Quelle image du 18e tu renvoies?
M: Je montre le 18e tel qu’il est, chacun a sa vision du 18e. Celui qui travaille, droit sur son chemin aura sa vision. Celui qui bicrave en aura une autre.
P: Il y a des choses que t’aimerais changer dans le 18e si t’avais le pouvoir de le faire?
M: J’aimerais que ce soit moins sale, qu’il y ait plus de tunes parce que la réalité c’est qu’on est délaissés.
P: Pour améliorer les choses, il faudrait que la puissance publique intervienne? La mairie par exemple ?
M: L’Etat doit intervenir mais ils s’en foutent. Ça fait des années déjà, on a l’habitude. C’est triste à dire mais nos petits frères ils naissent ici. Ils voient ça depuis petits, ça les choque même plus. Alors qu’un touriste, quand il vient ici il est choqué. Voilà pourquoi c’est pas touristique.
On est délaissés, l’Etat doit intervenir mais ils s’en foutent. Nos petits frères voient ça depuis petit, ça les choque même plus
P: Il y a souvent des expulsions dans le 18e et le 19e vers la périphérie de Paris. La dernière en date étant du Jardin d’Éole, c’est des mesures qui font évoluer les choses pour le 18e ?
M: Ce qu’ils ont fait, c’est du semblant médiatique. Aux infos ils détournent souvent la réalité pour donner l’impression de faire quelque chose pour les habitants du 18e. Je préfère regarder sur le net et bien différencier le vrai du faux.
P: Avec ta fidèle équipe vous répétez que le 018 c’est pas touristique. T’aimerais le rendre touristique ce quartier?
M: Quand on dit ça, ça veut dire que c’est des coins tellement sales qu’ils sont pas touristiques. Quand je vais dans le 15e ou même dans le 17e, c’est plus propre. Ici, c’est sale. Là par exemple, on est dans un parking, c’est pas touristique.
018 CONVOITÉ
P: Aujourd’hui une certaine zone du 18e est de plus en plus convoitée, le rap y est pour quelque chose tu penses ?
M: Bien sûr. Ils voient nos clips, on montre les trucs de chez nous et ça donne envie aux gens d’y habiter. C’est bien beau que les gens veulent y vivre mais on veut que les choses changent pour nous et pour nos enfants d’ici. C’est bien que la population se mélange mais qu’est-ce-qui change réellement chez nous? Rien. On voit juste des touristes en plus mais ça change pas, c’est toujours pareil.
Ils voient nos clips, on montre les trucs de chez nous, ça donne envie aux gens d’y habiter mais nous on veut que ça change pour nos enfants d’ici !
P: Tu penses que ça se transformer au point de devenir un quartier bobo?
M: On sait pas, mais pour l’instant ça les arrange que ce soit ainsi. Sinon, ils mettraient où les geuches, tous ces zombies là?
P: Hors de Paris? C’est déjà le cas d’ailleurs, non?
M: Ils les mettent déjà en périph’, entre la banlieue et Paris. Sauf qu’en banlieue personne n’en veut non plus. Ils sont coincés sur le périph’.
Après en vrai, la journée c’est devenu beaucoup plus propre et puis ça dépend où dans le 18e. Vers Montmartre ça va, Jules Joffrin c’est très touristique hein ! [Rires]
Mais moi mon 18e, c’est le 18e Nord [NDLR : Max Dormoy, Barbès, Cliangcourt],c’est pourri mais l’Etat préfère fermer les yeux. C’est comme pour la bicrave, si tout le monde allait bien, il y aurait pas de bicraveurs.
P: C’est une issue?
M: C’est un travail ! C’est peut-être triste à dire mais c’est un travail qui te permet de nourrir ta famille.
Ici si tout le monde allait bien, il n’y aurait pas de bicraveurs
018 EMPIRE EN CONSTRUCTION
P: Pourquoi tu tiens à clipper tes sons à chaque fois?
M: En ce moment dans ma tête c’est “un son, un clip”. Je sais pas jusqu’à quand ça va durer mais là j’ai ce rythme là et ça me convient bien. Je vais aussi continuer mes freestyles Warrano Face [NDLR: Freestyles #WNF].
P: Dans “Samuel” tu dis “J’suis avec Cashy on monte un empire”. Si tu pouvais construire un réel Empire de A à Z, il ressemblerait à quoi : quel nom, quel drapeau?
M: Je suis un warra, ça veut dire que je suis un lion, c’est notre mentale avec Jackma. Du coup mon drapeau ça serait un lion avec un 018, je représente chez moi.
Après, quand je parle de construire un empire c’est pas ça. Je parle business. J’ai envie d’être Sony plus tard carrément. J’veux être une maison de disques, pas un label et j’essaye d’apprendre pour atteindre ce but là.
Mon drapeau, ça serait un lion avec un 018 parce que je représente d’où je viens
P: Si on reste sur l’Empire avec un grand “E”, quelle serait sa devise?
M: “C’est pas touristique” hein.
P: Le plat national ?
M: Un grec frites, c’est complet! Avec des alternatives parce qu’il faut penser à tous les goûts. [Rires]
P: Le sport national de ton Empire?
M: Pour moi c’est le basket mais pour la calle, c’est le foot. Au basket j’suis les Spurs. Et pour le foot, c’est parisien ou rien hein !
COMPILATION BENDO
P: Dans la compilation Bendo (Vol. 2) tu partages un titre avec le rappeur lyonnais Kpri “Tous les jours”. Comment s’est faite la connexion ?
M: Avec Kpri ça s’est fait via mon manager qui était déjà connecté avec lui. Un jour il lui a fait écouté un son à moi. De mon côté quand j’ai écouté Lyonzon, j’ai aimé tout le monde mais dès que j’ai entendu Kpri et son jeune âge, je me suis dit “c’est lui!”. Quand on s’est vus en studio, on a eu un super bon feeling et moins de 24h après on l’a clippé.
À son âge, il y en a peu qui sont bons comme ça.
P: Sur cette même compilation Bendo, t’as un feat avec ton cher Cashmire, “Chanel”. À un moment tu dis “Ils font les fous c’est leurs mères qui pleurent”. Ça rejoint le discours souvent évoqué dans le rap où les mères sont présentées comme des dommages collatéraux.
M: C’est triste à dire mais c’est exactement ça, c’est des dommages collatéraux. Quand on est petits on est fous et il peut se passer des drames. Au final, c’est les mères qui vont pleurer. Si le fils fini en prison ou meurt dans une rixe. C’est une mère qui pleure. Plus globalement, c’est une famille qui pleure. J’ai une vision maternelle de la famille et pour moi celle qui tient le cadre, c’est la mère.
Quand on est petits, on est fous et au final c’est les mères qui vont pleurer
RAPPER EN TOUTE SPONTANÉITÉ
P: Est-ce-que tu dirais que t’as une affinité avec un style de rap en particulier?
M: J’dirais que j’fais du rap, c’est tout. C’est mon instinct qui me guide, j’écris tout au studio. Avant j’écrivais pensant que ça allait, mais une fois que t’arrives au studio tu te rends compte que la tonalité sort pas forcément pareil. Donc maintenant je viens, j’analyse l’instru, si j’aime, je fais mon son et c’est à l’instinct.
P: Ça t’arrive plus du tout d’écrire spontanément des bouts de phrases sur ton tel?
M: Si ça m’arrive ! Quand j’ai un trou je vais piocher dans mon tel et voir si j’ai une phase qui colle avec la mélo, mais sinon j’écris qu’au studio en faisant des toplines dans ma tête.
P: Pour le choix de tes prods, ça se passe comment?
M: J’écoute 3 prod par maquette, si ça me parle j’y vais sinon je passe à une autre. Je fais aussi beaucoup au feeling en rencontrant le beatmaker directement. Ça s’est passé comme ça quand j’ai rencontré Amine pour “Tous les jours” avec Kpri.
À BORD DE LA PLAYLIST DE MONKEY D
P: T’écoutes que du rap ou on trouve un peu de tout dans tes playlists?
M: J’écoute vraiment de tout. En ce moment j’écoute Tiakola, Cashmire. J’aime beaucoup Vianney aussi, quand je l’écoute ça m’apaise.
P: C’est laquelle ta préférée de Vianney?
M: Dumbo ! Il est chaud Vianney, il mérite. En plus il est super humble, j’aime bien.
P: Qui t’a mis une claque musicale récemment ?
M: Ceux qui me mettent des claques c’est les anglais. Mes potes ils me forcent à écouter du rap US et on peut pas nier qu’ils font des bons trucs, mais j’les écoute pas !
P: Pourquoi tu les écoutes pas?
M: Parce qu’ils se br*nlent sur nous!
P: Même petit t’écoutais pas? Pas même 50cent ?
M: Si, 50! Mais là en toute honnêteté, demain s’il sort un album en même temps que PNL, j’préfère large écouter PNL.
P: Et en rap européen non francophone, t’as des préférences?
M: Les rappeurs italiens ils sont bons, les allemands aussi dans la drill en ce moment.
S’il n’y a pas de clip, m’appelez pas !
P: Ça t’intéresserait une collaboration européenne comme ça?
M: Moi je suis en mode “celui qui est chaud, il vient” et on fait clip. S’il n’y a pas de clip, m’appelez pas. Je suis toujours dans cette dynamique là ; on fait un son ensuite on fait le visuel.
P: C’est toi qui réfléchis à l’aspect visuel ou t’es avec d’autres personnes dessus?
M: Pour Samuel j’ai réfléchi au visuel, après Cashmire m’aide aussi pas mal. Maintenant je travaille avec une directrice artistique donc les prochains trucs seront peut-être encore plus réfléchis.
P: Qu’est-ce-qu’on peut te souhaiter pour la suite?
M: Que les choses marchent !
P: Tu parles de la musique ?
M: Oui, y’a que la musique dans ma tête. Avant ça, il y a ma famille et mes enfants. Sinon c’est que le travail et l’argent qui m’intéressent, et c’est ça qui fait vivre le monde.
P: Dans ton cas ton travail, c’est ta musique donc tant mieux !
M: Exactement ! [Rires]
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