crédit photo : @leogrosp

okis, ferme les yeux et imagine-toi

Connaître une ville, ses quartiers, ses odeurs, sa population, sans jamais y avoir mis les pieds. C’est ce que l’on ressent lorsqu’on appuie sur play et qu’on se laisse emporter. On s’imagine un homme, seul, déambuler dans cet espace, les oreilles absorbées par le souffle de la métropole, les yeux aux quatre coins de ce tableau si singulier. Il en est presque devenu le narrateur.

Lui, c’est okis, les doigts prêts à coucher quelques mots sur le papier, enfin plutôt sur son téléphone. Une plume fine et précise, magnifiquement imagée et adroitement référencée, assortie d’un jargon local dont peu soupçonnent la provenance. Et une posture de perdant magnifique, pleine de sincérité. 

De quelle ville parle-t-on alors ? Une cité aussi bien connue pour son histoire (Lugdunum) que pour sa Place Bellecour et la malhonnêteté du président du club de football. Lyon, bien évidemment. okis est un pur produit de la ville, le meilleur espoir du centre de formation. 

Ne pas encore le connaître, c’est faire l’aveu de ne pas avoir écouté Sandra Gomes, photographe et directrice artistique, parler de ses découvertes musicales de 2022. Il faut rendre à César (Delgado, seul.e.s les vrai.e.s l’auront) ce qui lui appartient : c’est par ses interventions répétées sur okis que le nom du jeune artiste s’est progressivement inscrit dans ma tête. Alors, pour le découvrir, c’est par ici ! 

crédit photo : Maxime Boudehane (@mxiee)

okis, rappeur de Lyon

Encore anonyme l’année passée, okis a débuté 2022 sans tergiverser, avec la sortie immédiate d’un premier disque, le 13 janvier. “OK” est le premier jalon d’une carrière qui ne fait que débuter. Dix mois plus tard, le jeune homme profite du Ballon d’Or de Karim Benzema pour nous offrir un second EP. Si le sacre de KB9 était évident, le titre du projet d’okis l’est, lui aussi, tout autant : Rappeur de Lyon”. 

Ces quatre nouveaux titres font de lui un géographe piqué à la sociologie. En parcourant ses textes, on l’imagine barouder dans les rues lyonnaises, à l’affût de chaque geste, expression et échange. Un homme de terrain, qui constate l’évolution de sa ville et de ses habitants. Écouter ses morceaux, c’est considérer la ville de Lyon comme un objet d’étude à part entière. okis a toujours vécu près de la métropole, à la seule exception de ses études universitaires. Il le dit lui-même en interview, ces quelques années lui ont laissé un goût amer tant le Rhône lui manquait.

J’parle de Lyon depuis qu’on s’est séparé.”

Carré d’as

Lyon n’est pas si souvent cité en tant que tel dans ses textes. okis préfère regarder la métropole par l’œil du microscope, afin de mettre un coup de projecteur sur les lieux qui l’ont marqué. On le suit donc arpentant la petite commune de Caluire-et-Cuire, l’arrêt de métro Vaulx-en-Velin – La Soie, la ville de Décines-Charpieu, etc. On se projette également sur les bords de la Saône, certainement son lieu de prédilection pour passer du bon temps (“gros tonj sur le long d’Saône”).

Ce zoom est encore plus précis lorsqu’il nomme clairement les endroits dont il parle. Par exemple, il oppose deux boîtes de nuit de la ville et laisse l’auditeur en interpréter la raison (“C’rappeur zone vers le It bar, hater du Ayers”). okis nous intègre au plus près de la vie nocturne, que l’on peut visualiser sans avoir ses références. Une forte connivence s’installe, comme si nous trainions avec lui.

Parfois, un brin d’humour se joint à cette visite guidée au cœur de la Capitale de la soie. Lyon cristallise un certain nombre de clichés, lesquels sont exagérés avec dérision par le rappeur (“J’vis ma vie d’malheur à Funk Ville”). Enfin, il revient sur le tacos local, commercialisé depuis les années 2000, et dont Villeurbanne et Vaulx-en-Velin se partagent la paternité.

Y aura pas d’policier dans ma tacoscratie.”

– 100

okis transpire sa région natale, en témoigne le jargon lyonnais qui rythme ses textes et ponctue ses phrases. Vous entendrez donc, pêle-mêle : chaber (regarder), mouille (visage, par extension une personne), banave (mentir), cher (beaucoup). Certains mots ont d’ailleurs traversé le Rhône et sont entrés dans le lexique commun national, comme pelo ou gone.

J’ai call all-in pelo, pas chabé les cartes.”

Tom-Tom et Nana

Comme un soir de match à Gerland

Ecouter okis, c’est se remémorer les soirées foot de la décennie passée. Le jingle du Multiplex de Canal +, le magnifique 5-5 du Lyon-Marseille (2009), les coups-francs de Juninho, la génération 87… Bref, des souvenirs communs à toute une génération. C’est aussi se replonger dans l’ivresse de l’album Panini et retrouver certains joueurs disparus des radars. 

L’EP “OK” débutait sur les chapeaux de roues. L’auditeur avait à peine lancé le projet qu’il était déjà confronté à la première saillie (“j’fais pas d’effort comme Tousart à la relance”). Pour les adeptes du ballon rond, le renvoi est limpide et le message est brillamment passé. Sur ce nouvel EP, les références footballistiques pleuvent à nouveau, et donnent toujours du relief à la comparaison. 

L’oseille et moi, c’est Deco vs Leca.”

Tom-Tom et Nana

Bien évidemment, les joueurs passés par l’Olympique Lyonnais sont les plus cités. okis aime les contrepieds et ne se contente pas de citer les plus connus, à commencer par Djamel Benlamri (8 matchs seulement, en 2020). C’est par ces références lointaines et obscures qu’il parvient à nous décrocher un sourire. On s’imagine avec lui, dans les travées du stade, à commenter le match. 

Cover de l’EP “Rappeur de Lyon” / crédit photo : @leogrosp

Perdant magnifique, Lyonnais subversif

Sur ces quatre morceaux, okis fait le point sur sa vie, avec entière sincérité. Journaliste de profession, il ne fait curieusement jamais allusion à son métier. Celui-ci transparaît néanmoins, grâce à son sens de l’observation et du bon mot, puis à l’usage d’un lexique parfois très technique.

Ici, okis est un rappeur et revendique ce titre. L’égotrip, parfois saupoudré de légèreté, démontre toute l’ambition de l’artiste. Il gratte depuis les années du collège et a eu le temps de peaufiner son art avant de s’élancer. Comme il le dit lui-même, “y’a que le rap qui est facile”.

Si j’me laisse aller j’pourrais j’rapper mes codes de carte.”

Facile

Malgré tout, le Lyonnais regarde sa situation avec mélancolie. On le sent insatisfait face à la vie qu’il mène, comme s’il était sur le bon chemin sans pour autant en trouver la bonne sortie. On le voit tourner en rond, comprenant parfois qu’il subit davantage qu’il n’apprécie son quotidien. Ici transparaît alors comme un manque d’ambition, alimenté par l’incompréhension des exigences d’une société parfois absurde.

Fun fact, les portes partout s’ouvrent, j’suis sceptique.”

Carré d’as

Derrière ce relatif constat d’échec se cache un message plus profond, plus politique. En interview, okis explique ne pas le faire de manière volontaire : “C’est juste mes idées qui transparaissent à l’intérieur de mes textes”. Il représente, peut-être, une partie de la jeunesse d’aujourd’hui, celle qui se soucie moins de sa carrière professionnelle que de son épanouissement personnel. Il invite, par exemple, à voir le chômage comme l’occasion de prendre une bouffée d’oxygène nécessaire. Les paroles deviennent plus acérées lorsqu’il s’attaque frontalement à des personnalités connues de tou.te.s. Quelques beaux tacles appuyés, Cris époque Gérard Houllier. 

Graille du pain rassis ou résiste à l’assaut de Pascal Praud l’raciste.”

– 100

Rappeur de Lyon” de okis est disponible sur toutes les plateformes de streaming.