Tristesse Business, l’odyssée sentimentale de Luidji

Ces dernières années, les récompenses sont devenues légions dans le rap français. Des records de ventes dus, notamment, à l’apparition des plateformes de streaming et au triomphe du genre sur ces dernières. Mais parmi toutes ces consécrations, certaines ont parfois une saveur particulière : celui du mérite. C’est le cas du très personnel Tristesse Business : Saison 1 de Luidji qui, le 19 septembre dernier, a été certifié disque d’or avec plus de 50.000 albums vendus. Un premier opus qui sonne comme une œuvre-revanche sur l’industrie mais aussi sur l’artiste lui-même.

L’aventure Foufoune Palace

Entre 2012 et 2015, le rappeur du collectif Capsule Corp (Beeby, Tuerie, Dinos, …) se cherche beaucoup. Les EP Station 999 et Mécanique des fluides attirent les curieux mais restent encore confidentiels. Problème : son contrat avec Wagram l’emprisonne artistiquement et l’empêche de prendre des risques. Avide d’indépendance, il quitte le label et crée sa propre structure, Foufoune Palace Records, placée sous l’égide de Def Jam. Luidji commence alors à surfer sur le succès des singles “Foufoune Palace”, “Marie Jeanne” ou encore de la série de morceaux “Pour deux âmes solitaires”. Mais c’est avec Tristesse Business : Saison 1 que Luidji opère sa véritable métamorphose.

Plongée en eaux troubles

« Puisse mon premier album guérir vos maux, comme il a guéri les miens » écrivait Luidji sur Instagram pour annoncer la sortie de son premier album. Tristesse Business c’est l’histoire d’un homme en deuil. Un deuil amoureux qui plonge le narrateur dans une errance existentielle et un coma émotionnel profond. En cause : un triangle amoureux qui mène le chanteur à sa perte lorsqu’il apprend de son amante qu’elle est enceinte de lui (Néons Rouges) et d’avouer la nouvelle à sa partenaire (Système). Honte, remords, frustration,… En 17 morceaux, le rappeur encapsule toutes les émotions éprouvées lors de ses précédentes relations. Des cicatrices dont il cherche à panser les plaies.

J’me sentais vide et mort, pourri d’l’intérieur, alcool, weed et fast-food
L’âme qui coule vers des niveaux toujours inférieurs 

Système

Dans cette odyssée sentimentale, la métaphore de l’eau est ainsi omniprésente. Au début du récit, Luidji (nous) plonge dans la mer et nous guide vers les abysses de ses névroses. Comme Ulysse, le narrateur tente de lutter face aux chants des sirènes. Ces femmes auxquelles il s’abandonne au risque de se perdre en chemin. Perdu, il manque même de se noyer dans les immenses vagues de “Nazaré” (ville portugaise très fréquentée par les surfeurs). L’eau, prise dans son sens biblique, devient alors un moyen pour ce dernier de se laver de ses péchés. Mais en invoquant la mythologie vaudoue (“Agoué” est le dieu protecteur de la mer et “Erzulie”, la divinité de la beauté), le rappeur d’origine haïtienne trouve dans la spiritualité les fruits de sa renaissance. Nourrie d’une nouvelle confiance en lui, Luidji peut enfin sortir la tête de l’eau et devenir celui qu’il rêvait d’être.

J’voulais cent mille à mes trente balais, j’ai deux ans d’avance
La famille avant l’oseille, Tristesse Business
J’exorcise mes blessures et les transforme en petites pièces

Veuve Cliquot

En thérapie

Tristesse Business est finalement une leçon de résilience, un hymne au lâcher-prise et à un détachement progressif vis-à-vis de la souffrance. Par son intimité, le storytelling de l’album parvient à toucher du doigt l’universalité des relations amoureuses faites de tendresse et de complicité mais aussi de jalousie et de trahisons. Oeuvre thérapeutique écrite à cœur ouvert dans laquelle on n’hésite pas à replonger pour obtenir des réponses à nos questions. 

Côté forme, le disque est éclectique : rap, r’n’b, variet’, bossa nova… Grâce à l’aide de ses fidèles architectes (Ryan Koffi et Pee Magnum), toutes les sonorités fusionnent pour former ce son unique qu’incarne l’univers luidjien. Une toile multicolore où se rencontrent le romantisme tragique du Radeau de la méduse (Géricault) et le surréalisme sensuel de la Femme assise sur la plage (Picasso). 

Vers une saison 2 ?

Trois ans plus tard, après un succès d’estime certain et trois tournées consécutives (pourtant freinées par la pandémie de Covid-19 et ses nombreuses restrictions sanitaires), force est de constater que Tristesse Business est un projet qui dure et se bonifie avec le temps. Tel un vin millésimé qu’on aurait laissé vieillir à la cave (c’est pour la métaphore, malheureusement personne à la rédaction n’a les moyens d’en avoir une car on attend toujours d’être payés bref…)

Entre-temps, Luidji avait profité de l’automne 2020 pour sortir Boscolo Exedra, un EP qui se voulait être un sequel à Tristesse Business : Saison 1 en même temps qu’une passerelle vers Tristesse Business : Saison 2, dont l’existence avait été révélée par le rappeur sur Instagram le 13 septembre 2021. Post depuis supprimé et qui remet donc en question le nom du futur projet. Affaire à suivre… En tout cas, à La Pépite, nous n’avions aucun doute sur le fait que ce premier album allait avoir de beaux jours devant lui. Et aujourd’hui, on est heureux d’affirmer que Luidji relève moins du statut de « pépite » que celui de « mine d’or ».

Tristesse Business de Luidji est disponible sur toutes les plateformes de streaming